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là, des touffes de buis. À droite, le terrain se relève un peu, et se vallonné. Ce sont des maquis plantés d’oliviers sauvages, de pistachiers, d’arbres de Judée, de cornouillers, d’arbousiers, de houx, de vingt sortes d’arbustes qu’enlacent des lianes à demi sèches, entre lesquelles je reconnais l’ombelle cotonneuse des viornes. Le principal seigneur et maître de ces maquis est l’hôpital San-Spirito. Vingt kilomètres à vol d’oiseau lui appartiennent. L’État pourrait trouver là un champ d’expérience à souhait, et montrer ce qu’il entend par colonisation, défrichement et assainissement des grands domaines. Les lois lui rendent la tentative parfaitement aisée : mais il se hâte peu d’en user. Très loin, et délicieuses de lignes, les montagnes bleues, couronnées de neiges, limitent la plaine et la vue.

Le train nous arrête à Maccarese, devant une station isolée dans cette campagne rase, et enveloppée de quelques bouquets d’eucalyptus. Cela ressemble à une foule de petites gares des lignes méridionales italiennes. Don Giuseppe vient à nous. Au-delà de l’enceinte de palissades, sept ou huit chevaux équipés nous attendent. Il fait un froid piquant. Nous nous couvrons chaudement, et nous montons à cheval, don Joseph, don Camille, le jeune baron Baude, deux butteri du domaine et moi. Nos bêtes sont de race romaine, nerveuses, habituées à deux allures seulement, le pas et le galop. On m’a gracieusement destiné une selle anglaise, et je le regrette presque, ayant de secrètes préférences pour l’énorme selle du pays, relevée en avant et en arrière, faite d’une peau légère et souple qui tient la jambe collée au cheval. La troupe franchit la voie du chemin de fer, et nous sommes dans la prairie sans route, vaste comme les pampas. Rien autre chose, dans ce désert, que des lignes de palissades, coupant la plaine à de rares intervalles, et des arbres lointains, formant des avenues tronquées, sans feuilles. Le jaune terreux des végétations mortes s’étend indéfini, un peu doré, aux renflures du sol, par le soleil levant. C’est d’une poésie sauvage et grande. Un renard part sous nos pieds, d’une touffe de buis, et nous apercevons, pendant plus d’une demi-lieue, l’éclair fauve de son pelage et sa queue soulevée par la course. Une barrière se présente. Un des butteri sans rien dire, éperonne son cheval, se lance au galop, pique, du bout de son bâton ferré, l’extrémité de la porte mobile, l’ouvre toute grande : nous passons, et les traverses de bois retombent d’elles-mêmes derrière nous.

Un premier canal, creusé en vertu de la loi sur la bonifica de l’Agro. La pente est si faible que l’eau paraît stagnante. Nous traversons le fossé sur un pont sans parapets. À droite un troupeau de jumens, à gauche un tronco de vaches romaines laitières.