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L’herbe est meilleure. Plus loin, dans cette partie sèche du domaine, commence un champ de blé parfaitement beau. Un jeune homme d’une vingtaine d’années le parcourt lentement, tapant du poing sur une caisse à biscuits en fer-blanc, qu’il porte pendue au cou. Il est payé vingt-cinq sous par jour pour effrayer les alouettes, et une foule de petites ailes grises battent autour de lui, montent un peu, s’en vont se poser plus loin, non effrayées, à peine écartées. J’aperçois aussi, très loin, à plus d’un kilomètre en avant, une masse brune.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Une partie de notre troupeau de buffles, répond don Giuseppe, que j’ai fait rassembler pour vous.

Trois cents animaux paissent, en effet, sur une étroite éminence couverte de brousse, cernés par deux hommes à cheval et plusieurs autres à pied. Nous pénétrons au milieu du troupeau, et, pour la première fois, je considère, de près et vivante, cette bête que j’avais vue seulement en gravure ou en rêve. L’impression n’est pas tout à fait celle que j’attendais. Au lieu de ces bêtes féroces, que l’imagination populaire calomnie, assurément, je trouve des vaches laitières, noires, à la tête jolie, aux yeux longs très doux et intelligens. Les cornes sont roulées près de l’oreille ; le cou est maigre ; le corps, trop gros, vêtu d’un cuir pelé, semble se remuer par plaques massives comme celui de l’éléphant. L’aspect général dénote un caractère timide. Il paraît cependant que les mères, à leur premier veau, deviennent méchantes, et que les vieux mâles sont redoutables quand ils prennent le maquis. Quelques mufles barbus de taureaux, qui se baissent au passage de nos chevaux, semblent confirmer la légende.

Tandis que nous sommes enveloppés par la masse mouvante des buffles, juste au sommet du tertre, don Camille Rospigliosi s’adresse au gardien chef, le minorente.

— Comment s’appelle cette vache qui s’en va ?

Scarpe fine e stivaletti (souliers fins et bottines).

— C’est un cri de vendeur dans les rues de Rome, dit don Camille s’adressant à moi. Et cette autre ?

Più sta e più va peggio (plus ça va, plus les choses empirent).

— Et la petite là-bas, qui porte la tête de côté ?

Fa la spia, ma falla bene (elle fait l’espion, mais elle le fait bien).

— Et la grande ici ?

C’è gran guerra, in alto mare (il y a grande guerre dans la haute mer).

— Vous remarquerez, ajoute don Camille, que nous sommes très