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salle de réunions et de fêtes, décorée jusqu’aux voûtes de fraîches peintures murales. Les ateliers d’hommes et de femmes sont disposés tout autour.

Le roi arrive le premier, de Monza, dans un landau à deux chevaux, très ordinaire. Il est en redingote et en chapeau de soie. À peine les présentations faites, sur son ordre, tout le monde se couvre, et le roi se met à causer familièrement avec les autorités de Milan et les administrateurs du nouvel institut, au milieu du vestibule où s’engouffre l’air froid du dehors. Je ne remarque point d’empressement excessif parmi ceux qui l’entourent. Il parle à chacun, par phrases très courtes, d’une voix basse, avec un haussement fréquent du menton. L’attitude est toute militaire, et l’on devine, à le voir, qu’il aime à causer debout, la poitrine cambrée, faisant deux ou trois pas, de temps à autre, habitude qu’il conserve dans les réceptions à la cour, et dont les tout jeunes diplomates ne se sont jamais plaints. La moustache est terrible, moins cependant que sur les pièces de monnaie, mais le regard, un peu étonnant de fixité, n’a rien de dur. Le roi Humbert a beaucoup gagné en popularité depuis le choléra de Naples, et il le sent.

Dix minutes plus tard, un mouvement se produit dans la foule massée le long de la grille, et une voiture à quatre chevaux, supérieurement attelée en poste, tourne devant le perron. La reine descend, et passe au bras du roi, entre deux haies d’invités. Elle porte un collet Médicis en velours noir, un chapeau de velours noir à grandes plumes, et une robe bleu sombre. Les deux haies s’inclinent. La reine sourit, et son sourire est célèbre, comme on sait. Elle a aussi de longs cils dorés, qui rendent son regard charmant. Une dame d’honneur la suit. Et les deux souverains commencent à tenir ce rôle officiel que la pratique peut rendre aisé, mais non pas réjouissant.

Ils écoutent le discours d’un monsieur vénérable, de la musique, un compliment d’aveugle, d’autre musique. Puis il leur faut faire la visite complète du nouvel institut, et subir des explications sur bien des choses qui s’expliquent toutes seules. Je les suis avec la foule des invités, qui se heurte aux angles des portes, encombre les corridors, et remplit d’avance les salles où leurs majestés doivent passer. Elle est curieuse, cette foule silencieuse et empressée. Évidemment elle représente une partie de la haute société milanaise. Partout, autour de moi, un joli murmure distingué de paroles italiennes, des sourires discrets, des présentations cérémonieuses, de fins visages de jeunes filles et de jeunes femmes, avec ces yeux si vite changeans, toujours un peu humides au coin. Mais presque pas de toilettes : des fourreaux gris, mauves, bleus, des chapeaux du matin. À Paris, pour un prince nègre, on aurait assiégé Worth et