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la langue littéraire, la période ancienne, large et sonore. Plusieurs y sont passés maîtres, de Amicis, par exemple, dans le roman, et bon nombre de candidats à la députation dans leurs discours : si bien qu’on peut lire le premier ou écouter les seconds pendant plus de cinq minutes, sans rencontrer un point. Ils sont dominés par la longue tradition latine, dont nous nous sommes dégagés, par leur tempérament, tout de logique et de mesure, qui trouve, dans l’ampleur des developpemens, le moyen de présenter l’idée avec les ornemens, les commentaires, les objections et les réserves qu’il faut. Nous enfermons nos pensées en quelques mots, nets, vibrans, excessifs quelquefois. Ils préfèrent élargir l’enceinte, en y ménageant beaucoup d’incidentes, comme autant de portes de sortie : c’est tout ce que je veux dire de la forme.

Quant au fond, trois choses m’ont surtout frappé : d’abord l’Italien, — j’entends la masse du public, — me semble beaucoup plus capable de théorie et d’abstraction que le Français. Lisez les brochures politiques, si nombreuses au-delà des monts : les considérations générales y occupent une place prépondérante. Nous ne supporterions jamais tant de doctrine sans anecdote. Écoutez les discours, vous serez étonné de cette note philosophique, moins fréquente, mais bien plus singulière dans la bouche d’un candidat et devant une assemblée d’électeurs. Voici, par exemple, un des hommes les plus célèbres de l’Italie actuelle, orateur, économiste, directeur d’une revue, député, M. Ruggiero Bonghi. Il se présente devant le corps électoral de Lucera. Quel désastre il eût éprouvé, s’il avait dit à des Français ce qu’il a pu dire à des Italiens : « Le caractère est chose intellectuelle et civile ; il consiste avant tout à se bien pénétrer l’esprit et le cœur de l’idée et de l’amour du bien public, sans aucune vue intéressée ; le caractère consiste à conserver libre son jugement, et à ne se laisser emporter ni par la passion, ni par l’intérêt ; le caractère veut, jusqu’à un certain point, qu’on se rende indépendant de soi-même ; le caractère… » Il y en a encore douze lignes de journal. Et il a été élu ! Ailleurs, à Cesena, dans les Romagnes, le docteur Antonio-Alfredo Comandini déclare que : « Le déclin de la vie italienne doit être attribué à la prédominance des intérêts matériels sur les idées. Que celles-ci se traduisent donc en fonctions positives, par l’abandon du système négatif, source de luttes stériles et de continuelles désillusions. » Ses auditeurs l’ont-ils compris ? Probablement, puisqu’ils l’ont nommé. Et il avait poussé l’audace littéraire, dans un discours politique, jusqu’à citer un peu plus loin le vingt-septième chant de l’Enfer de Dante !

Un second point, très remarquable dans les discours de nos voisins, c’est l’allusion continuelle à la France. Elle se retrouve