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rondeur ; elle marchera toute seule et, quant à la peine, si miss Conklin, — et avec déférence il se tourna vers la jeune fille, — si miss Conklin veut bien monter dans mon buggy et me montrer où demeurent les principaux colons, je crois que j’aurai en trois ou quatre jours étudié l’affaire.

Tous les yeux se fixèrent sur Lou. Ce fut peut-être la jalousie qui fît sourire Bancroft d’un air méprisant. En ce cas, son sourire fui intempestif, car, rougissant un peu, la jeune fille répondit :

— Je ferai volontiers ce que je pourrai.

Et, en parlant, elle jetait à Bancroft un regard de défi.


IV.

Avec l’entrée en scène de Barkman, commença pour Bancroft une nouvelle série d’expériences. Jusque-là, il avait craint seulement que la beauté de Lou pût lui faire perdre la tête jusqu’à le conduire au mariage Mais maintenant, bien qu’il fût résolu à ne jamais commettre cette erreur, il lui paraissait impossible de céder Lou à un autre. Elle ne lui convenait nullement, elle avait certes fait des choses inexcusables ; cependant l’idée qu’un Barkman pût la lui prendre suffisait à l’exaspérer ; de sorte que toutes les fois qu’ils se revirent ensuite, surtout quand l’avocat était présent, il s’exerça tantôt presque à son insu, et tantôt malgré les conseils de son jugement, à traduire cette colère en suprême dédain. Il était décidé à la sauver d’elle-même, ou tout au moins à lui montrer le sort qui l’attendait, car enfin elle méritait mieux que d’appartenir à un tel homme. Elle était vaine, oui, elle manquait de cette sensibilité délicate, de ces instincts moraux subtils et frémissans qui sont la gloire et comme la couronne de la femme, mais ce n’était pas sa faute, si son éducation avait été insuffisante, si elle avait vécu dans un milieu grossier, et après tout, sa beauté était merveilleuse. Malgré ce qu’on pouvait lui reprocher, elle valait mieux que de devenir la femme de Barkman. Ainsi la jalousie qui survit à l’amour rongeait le cœur de Bancroft, tantôt le poussant à mettre en œuvre tous ses moyens de plaire, tantôt le forçant à traiter celle qu’il craignait d’aimer avec une froideur contre laquelle sans cesse elle se révoltait.

Un jour, en revenant de l’école, il vit Barkman et Lou se promener ensemble dans le verger. La jeune fille l’appela et courut à sa rencontre ; tandis qu’elle passait sous les arbres, Bancroft fut frappé de sa beauté ; le soleil, se jouant parmi les branches, tombait en flaques d’or sur sa tête et sur sa robe : tous ses mouvemens étaient gracieux et l’arrière-plan immédiat du vert feuillage encadrait, pour le mettre en relief, son visage pareil à une fleur. Mais