Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/683

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marneuses de « terres à jacquez, » et tout le monde comprend la signification de ce terme peu flatteur.

Puisque vous ne pouvez pas, avec les cépages primitifs importés d’Amérique, purs ou hybrides, trouver des souches ne jaunissant pas dans la craie et bravant le puceron, a-t-on dit, faites des champs d’expérience complantés de nouveaux hybrides collectionnés et numérotés, les uns francs de pied, les autres greffés ; attendez quelque peu et bientôt vous saurez à quoi vous en tenir, car d’un côté le calcaire, de l’autre le phylloxéra, tout aussi meurtrier, feront d’eux-mêmes la sélection demandée. Au bout de peu d’années, tout ce que vous retrouverez de vert et de vivace sera bon, et vous n’aurez plus qu’à multiplier de confiance.

Ce raisonnement semble irréprochable, et nous ne croyons pas, pour notre part, qu’il soit inexact. Cependant, une objection assez curieuse a été soulevée par M. Verneuil (des Charentes) et nous tenons à la reproduire sans la garantir. — Il est vrai, dit-il, que l’influence de la craie fauche impitoyablement les espèces calcifuges, mais la destruction par le phylloxéra s’opère moins simplement. Les pucerons s’attaquent tout d’abord aux vignes d’affinités européennes et sucent leurs tendres racines jusqu’à l’épuisement et mort des souches. Ensuite, les insectes, délaissant les cadavres qu’ils ont rongés, se précipitent, faute de mieux, sur les variétés à racines plus coriaces et s’efforcent d’en tirer leur subsistance. Donc ces derniers cépages, après avoir paru indemnes au début, finissent par subir des assauts tardifs, mais très préjudiciables. Donc l’immunité phylloxérique ne peut être considérée comme acquise qu’au bout d’un temps très long, après la complète disparition des variétés non résistantes, et une expérience trop courte peut faire commettre même à un agronome expérimenté de funestes erreurs[1].

Cependant, on peut signaler, dans les Charentes, des hybrides de vignes françaises et de Riparia ou Rupestris qui se conduisent bien et luttent honorablement tout à la fois contre le phylloxéra et contre la chlorose. Dans les domaines respectifs de MM. Bethmont et de Dampierre, la reconstitution a été entreprise avec succès ; chez M. Bethmont, dans les « terres de groie, » le Berlandieri prospère et porte très bien la greffe ; il jaunit bien un peu, mais sans plus d’inconvéniens que la folle-blanche autrefois. Néanmoins, si l’on veut faire un pas de plus et braver les terrains de craie presque

  1. D’autres savans, reprenant la même thèse, en profitent pour blâmer dans un même vignoble le mélange des pieds de jacquez avec les souches de Riparia ou de Rupestris. Les quelques insectes qui mènent sur les racines indemnes une existence précaire se concentreraient bientôt, disent-ils, sur les radicelles du jacquez à peu près mangeable et nuiraient considérablement à celui-ci.