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Cette odieuse violation du droit des gens, consistant à recevoir, sans avis préalable ni sommation d’aucune sorte, nos navires à coups de canon, n’est pas le seul acte des Siamois qui puisse provoquer notre colère : le lendemain de cette funeste rencontre, un navire de commerce, un paquebot des messageries fluviales de Cochinchine, le Jean-Baptiste Say, qui avait échoué la veille et qu’on venait de renflouer à grand’peine, a été mis à sac par la population de Bangkok pendant que son équipage était maltraité avec la dernière sauvagerie. La dignité de la France et ses intérêts ne lui permettaient pas de patienter davantage ; notre gouvernement l’a compris et la chambre, à l’unanimité, a approuvé son attitude et lui a donné un blanc-seing pour les mesures qu’il conviendrait de prendre. Il ne s’agissait pas, ainsi que M. Develle l’a nettement établi, de porter atteinte à l’indépendance du Siam, mais seulement d’obtenir les indemnités qui nous sont dues pour le passé, et, pour l’avenir, les garanties nécessaires à la sûreté de nos possessions.

Le cabinet français a envoyé à Bangkok, à cet effet, un ultimatum portant sur l’évacuation par les Siamois de toute la rive gauche du Mékong, depuis le point où le fleuve sort du territoire chinois jusqu’à la limite septentrionale du Cambodge et sur le paiement d’une indemnité de 3 millions ; ou, à défaut d’argent, la remise, à titre de gage, de la perception des revenus publics dans les provinces de Battambang et de Siem-Reap (Angkor), limitrophes de notre colonie. Cette somme de 3 millions devait servir à payer les réparations pécuniaires de ceux de nos nationaux qui ont subi quelque préjudice de la part du Siam. Un délai de quarante-huit heures était accordé au gouvernement siamois pour faire connaître s’il acceptait ces conditions ; le prince Dewavongse, ministre des affaires étrangères du roi de Siam, commença par nous envoyer une réponse ambiguë qui ne pouvait nous satisfaire sur aucun point. Il était clair que ce personnage ne cherchait qu’à traîner les choses en longueur, suivant l’usage de l’extrême Orient, que nous avons déjà pu apprécier il y a une dizaine d’années, alors qu’un diplomate chinois négociait paisiblement à Paris, tandis que les troupes de son maître envahissaient le Tonkin. Notre ministre à Bangkok, M. Pavie, n’avait plus désormais qu’à se conformer aux instructions qui lui avaient précédemment été données. Il amena le pavillon de la légation et se retira à bord de l’un des navires français mouillés sur le Mékong. De son côté, le prince Valhana, ministre de Siam à Paris, recevait du quai d’Orsay ses passeports et se disposait à quitter la France.

On se demandait à quelles suggestions obéissait la cour de Bangkok, lorsqu’elle refusait de reconnaître les droits de l’Annam, sur les territoires de la rive gauche du Mékong, situés au nord du 18 degré de latitude. Pouvait-elle oublier à ce point les relations qui ont existé, jusqu’en 1884, entre l’Annam d’une part, et, de l’autre, les États Chans-Annamites