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opérations du comptant. Inutile d’ajouter que les obligations de nos grandes compagnies de chemins de fer, par l’impassibilité sereine de leurs cours, n’ont jamais sollicité, maigre leur admission aux négociations à terme, l’attention des spéculateurs.

Même pour les valeurs dont ceux-ci s’occupent le plus habituellement, notre marché subit souvent l’impulsion des places étrangères plus qu’il ne dirige lui-même le courant. C’est de Berlin que viennent les oscillations décisives sur le rouble et l’emprunt d’Orient ; les prix des obligations helléniques, des fonds brésiliens et argentins sont déterminés à Londres, et de même ceux des De Beers et Rio-Tinto. Nous n’exerçons guère notre initiative que sur le 3 pour 100 français, trois ou quatre de nos valeurs locales, et deux ou trois fonds. Extérieure, Italien et Turc.

La vérité est donc qu’il se fait encore des opérations de Bourse sur le marché de Paris, mais que le terrain sur lequel évolue la spéculation va se rétrécissant chaque année, et qu’en ce moment, en pleine morte-saison, et l’impôt aidant, il s’en fait moins que ne le voudraient ceux qui sont attachés à l’industrie des affaires financières. Même sur la rente française, on se demande s’il y a encore de la spéculation. Autrefois, à chaque liquidation mensuelle, on voyait s’engager à propos de la réponse des primes ou du cours de compensation de véritables combats entre haussiers et baissiers. Les uns et les autres s’étaient livrés, tout le mois, à de profonds calculs sur la probabilité de certains événemens, bons ou fâcheux, et sur la portée de leurs conséquences éventuelles. À grands coups de crayon, ils avaient déprimé, puis relevé le niveau des cours ; puis, lorsqu’approchait l’heure du règlement des comptes, le jeu devenait plus serré, le combat plus acharné, les coups plus violens. Aujourd’hui il n’y a plus d’adversaires en présence les uns des autres. La race des grands vendeurs a disparu ; la hausse continue du 3 pour 100 en a eu raison jusqu’au dernier. D’un côté on voit le trésor intéressé au maintien des plus hauts cours de la rente, les grands banquiers, haussiers par profession et par tempérament, les institutions de crédit qui ont dû se faire rentiers, ne pouvant plus vivre de l’escompte, la Caisse des dépôts qui va redevenir bientôt le grand acheteur ; de l’autre un petit, très petit groupe de spéculateurs qui en temps ordinaire n’osent agir, mais se hasardent encore de temps à autre, lorsque surgit un événement qu’ils jugent dangereux, à passer de faibles ordres de vente.

Mal leur en prend, et ils feraient mieux de s’adonner à quelque autre honnête métier. Ils n’ont pas plus tôt passé leurs ordres, en baisse naturellement, que la rente est déjà relevée, la grande armée de l’ordre ayant détaché à la rescousse une simple escouade ; l’événement fâcheux n’est plus qu’un événement sans portée, et nos timides vendeurs sont étranglés. C’est ainsi que, même avec l’affaire du Siam, le