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d’anémie, elle semblait ne plus guère tenir à nous : peut être a-t-elle voulu punir tant de désertions, et dans sa colère aveugle, frapper les bons indistinctement avec les mauvais. Pourquoi ne nous rendrait-elle pas ses bonnes grâces, la divine Maïa, la nourrice inépuisable qui prodigue son lait à ses enfans depuis tant de générations ? Nous souffrons, mais qu’est-ce que vingt ou trente ans dans la vie d’un peuple ? Ne serait-ce pas avec nos tourmens, nos douleurs, nos durs travaux, que se forge le bonheur de nos petits neveux ? Et l’éternel devenir n’a-t-il pas besoin de cet holocauste pour continuer son œuvre à travers les âges ? Cependant il faut lutter et le mal a ses remèdes ; la terre largement dégrevée, les familles nombreuses encouragées, la maison du cultivateur, son mobilier, les champs nécessaires à sa subsistance déclarés insaisissables, inaliénables, les fonctions publiques moins rémunérées, les ouvriers agricoles recevant une pension sur leurs vieux jours, la bourgeoisie se rapprochant davantage du paysan, vivant à la campagne, fondant partout des maisons de retraite, des refuges pour ceux que la fortune a trahis. Il importe aussi d’encourager les distilleries agricoles qui en Allemagne ont permis de produire du bétail au minimum du prix de revient, grâce à l’économie de nourriture qu’on réalise avec les drèches ; ainsi, malgré les tarifs protectionnistes de 1892, le mouton allemand continue à arriver au marché de la Villette, où il se vend au-dessous du cours du mouton français. Il y a 4,000 distilleries agricoles chez nos voisins ; elles ont mis en valeur les terrains les plus pauvres de l’empire ; avec la fabrication du sucre, elles forment la clé de voûte de leur agriculture. Rendre la justice gratuite, constituer le crédit agricole mobilier de telle sorte que le paysan puisse améliorer ses cultures, acheter des outils, des semences perfectionnées, appliquer les méthodes que révèle la science, que contrôle l’expérience, toutes ces réformes rendraient sans doute aux champs un peu de cette attirance qu’ils ont perdue, et, qui sait ? nous pourrions célébrer alors le retour définitif du Français vers la terre, leur mariage indissoluble cette fois et leurs nouvelles noces d’or.

Victor du Bled.