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actuellement ouverte rue de Sèze ont espéré qu’il se ferait autour des Portraits des écrivains et des journalistes du siècle un pareil mouvement de curiosité, ils se sont bien trompés. De rares promeneurs errent et ne se coudoient pas dans les galeries étroites et trop vastes. Il faut deux fois le regretter, puisque le but que poursuivait l’Association des journalistes était en partie un but de charité.

Ce qui fait le principal défaut de cette exposition, c’en est le caractère de spécialité. Ce qui nous gêne dans cette assemblée d’écrivains et de journalistes, c’est qu’on n’y rencontre que des journalistes et qu’on ne s’y heurte qu’à des écrivains. Ce sont gens de métier, et du même métier. Si de l’un à l’autre le talent change et la façon d’écrire, encore se ressemblent-ils par ceci qu’ils se sont mêlés d’écrire et que c’est la raison pour laquelle ils sont où nous les voyons. On aspire à en découvrir un qui de sa vie n’ait tenu une plume. Mais ce souhait lui-même est tout à fait déraisonnable. Celui-ci a préféré les vers et celui-là la prose ; or, tout ce qui n’est pas vers est prose, et des heures viennent où il nous semble que prose et vers ne sont qu’une grande vanité. Celui-ci a fait des livres gais, cet autre en a fait de tristes ; livres passionnés, livres éloquens, livres spirituels, ils ont tous fait des livres, ou des articles pour le moins. On a la sensation d’être dans un milieu professionnel. On respire je ne sais quelle odeur de papier imprimé. Il semble qu’on ait voulu nous faire assister à une sorte de glorification du métier. Cela même nous met mal à l’aise et nous fait entrer en défiance. Nous sommes en garde contre tant de gens pour qui les émotions dont nous vivons, les passions dont nous souffrons, les drames où nous succombons, n’ont été que des « motifs » dont ils ont cherché la transcription littéraire.

En fait, c’est bien sous la forme d’une apothéose de la corporation qu’était apparue aux organisateurs l’idée première d’où est sortie cette exposition. L’association des journalistes avait songé d’abord à n’organiser qu’un concours de tous les journalistes. Et comme il n’est personne en ce siècle qui n’ait au moins par hasard et une fois dans sa vie collaboré à un journal, aucun écrivain ne devait manquer à l’appel. Le biais était ingénieux ; et on eût bien vu par là que tout l’effort du siècle n’a été que pour tendre au journalisme et pour y aboutir. À la vérité, de nous présenter Chateaubriand et Timothée Trimm au même titre et tous deux parce qu’ils ont écrit dans les feuilles publiques, cela aurait pu paraître un peu violent. Mais, d’autre part, ceux qui ont été uniquement des journalistes, et qui n’ont pas voulu d’autre gloire, on sait de reste qu’ils ont mis leur gloire en viager. Consultez la