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liste des rédacteurs des journaux qui ont eu dans leur temps le plus de vogue, aussi de véritable influence. Hoffmann, Féletz et Duvicquet, J.-T. Merle et Cauchois-Lemaire, Jouy, Étienne, Évariste Dumoulin, Chambolle et l’abbé de Pradt, hélas ! qui s’inquiète de savoir comment ils avaient le nez fait ? Il a donc fallu se résigner. On ne s’en est point tenu aux illustrations de la presse. On a accepté tout le monde. On a reçu qui s’est présenté, pourvu qu’il eût un peu d’encre aux doigts.

Nos contemporains sont venus en très grand nombre ; et parmi eux les plus inconnus ont été les plus empressés ; non que ce fût vain désir de réclame ou l’effet d’une excessive déférence à l’égard des grands ancêtres avec qui on leur assignait rendez-vous ; mais on n’est pas fâché, quand on est modeste, de figurer, ne fût-ce qu’une fois et sur un catalogue, parmi les écrivains du siècle. Quant aux morts illustres, on ne peut dire qu’on ait oublié de les convoquer. Mais, pour la plupart, comment sont-ils représentés ? Ce n’est presque jamais par le portrait le plus significatif et qui fait autorité ; on s’est contenté d’une esquisse, d’une caricature et parfois d’une photographie. Que si on voulait par hasard juger de l’importance d’un écrivain par le soin qu’on a mis à réunir les images qui nous restent de lui, et de la place qu’il tient dans l’histoire de la littérature par celle qu’il occupe dans les galeries de la rue de Sèze, on arriverait à d’étranges conclusions. On verrait par exemple que le plus grand écrivain du siècle, ç’a été Alexandre Dumas père. À la plume, au crayon, à l’aquarelle, à l’huile, dans la pierre et dans le bronze, ses traits sans cesse reproduits nous apparaissent non pas moins de dix fois. On retrouve à tous les coins sa face épanouie de bon nègre. Et à le voir on ne s’étonne ni de la nature de son œuvre, ni de l’espèce de sa réputation. Les délicats sont sévères pour lui. Ils lui reprochent qu’il ne sait pas l’histoire, et qu’il ignore le cœur humain, et qu’il n’écrit pas en français. C’est qu’en passant par la cervelle qu’abritait cette chevelure crépue, l’histoire se transformait comme d’elle-même en légende, et la réalité prenait des aspects imprévus. Son regard est naïf et sans défiance comme un regard d’enfant. À la manière des enfans, il a continué de jouer avec des pantins qu’il prenait pour des hommes, et il n’a cessé de trouver le même charme tout neuf aux contes de nourrice. Dans les derniers temps de sa vie, il s’occupait à relire les plus fameux de ses livres, et il était tout réjoui du plaisir qu’il y trouvait. À quelqu’un qui lui tenait de très près il posa un jour brusquement cette question : « Crois-tu qu’il restera de moi quelque chose ? » La question plaît, non pas tant parce qu’elle traduit une noble inquiétude, que pour la candeur dont