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tout seigneur ne faisait guère valoir son bien que par les mains de ses serfs. Il y avait donc, sur le marché des terres, peu de marchandises et peu de marchands. Mais sans doute il y eut, pendant quelque temps, plus d’acheteurs que de vendeurs ; il y eut, jusqu’en 1300, un plus grand nombre d’hommes qui demandèrent du sol labourable, ou même du sol à défricher, qu’il n’y en eut à en offrir. De là la hausse de la terre. Quant à l’activité de la demande, elle tenait, du moins tout porte à le croire, à l’augmentation du bien-être et à celui de la population.

Il arriva que cette hausse extraordinaire des biens-fonds excita les convoitises des propriétaires, nobles ou clercs, que chacun d’eux, le roi en tête, se mit à défricher avec ardeur. Sans doute, ils essayèrent, au début, de faire ces défrichemens « en régie, » selon l’expression moderne, par les bras qui leur appartenaient. Mais ces bras se trouvèrent bientôt insuffisans ; on mettait, ou plutôt on voulait mettre en culture plus de terrain que ne le permettait la main-d’œuvre dont on disposait. N’oublions pas qu’il n’y avait que fort peu de travailleurs indépendans, que, par suite, on ne pouvait louer du travail, mais que, pour s’en procurer, il fallait acheter des travailleurs esclaves, des serfs ; et que, le prix des serfs s’élevant en raison des bénéfices qu’on espérait réaliser par leur intermédiaire, l’opération ainsi pratiquée cessait d’être avantageuse.

Ce fut alors que l’affranchissement joua son rôle : au lieu d’acquérir les serfs d’autrui, on libéra les siens propres. On commença par les plus capables, les plus laborieux, ceux avec lesquels la spéculation serait la plus fructueuse ; et on leur abandonna, en même temps que la propriété de leurs personnes, la possession d’un territoire déterminé, moyennant le paiement de redevances directes et de droits indirects. Le seigneur perdait la mainmorte, mais il gagnait des « lods et ventes ; » il perdait la jouissance d’une terre qui ne lui rapportait rien, mais participait, par une combinaison de taxes dites féodales, sagement conçues, à la plus-value que prendrait ce fonds dans des mains nouvelles. Telle fut l’économie de la transformation agraire, qui s’accomplit d’un commun accord, parce que les deux parties y trouvèrent un bénéfice, et qui eut pour effet la mise en valeur d’immenses étendues jusqu’alors stériles. Par là fut créée la propriété roturière, et la première conséquence de cette révolution, qui jetait ainsi sur le marché foncier tant de parcelles désormais négociables, et tant de laboureurs libres de les acheter et de les vendre, fut une baisse de la terre ; les progrès de la population, quoique très rapides, l’étant moins cependant que ceux du défrichement. La moyenne de 261 francs descendit, de 1301 à 1325, à 222 francs l’hectare.

Même, pour qu’un semblable prix ait pu se maintenir, il a fallu