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propriétaires fonciers de nos jours, c’était un gain véritable, une chance inespérée pour les propriétaires du XVIe siècle, que celle de traverser la plus grosse crise pécuniaire des temps modernes, et sans doute la plus rapide que le monde ait jamais connue, — une crise qui déposséda les propriétaires mobiliers et dissipa les trois quarts de leur richesse, — sans en être le moins du monde affectés pour leur compte personnel, et même en y trouvant un bénéfice positif.

Le prix maximum de l’hectare de terre, sous Henri III, est de 1,200 francs, le minimum est de 5 francs. Mais les prix du XVIe siècle ne sont pas le signe de la valeur agricole des fonds, de leur fertilité respective. Il existe alors un élément prépondérant de plus ou de moins-value, presque dans chaque province, depuis 1560, où le royaume est en proie aux guerres de religion : c’est la sécurité relative de l’exploitation. Et cet élément, pour qui connaît, dans le détail, les désastres dont ces luttes prolongées furent la cause, suffit amplement à expliquer les caprices apparens des prix.

On revit, quoique sur une moindre échelle, et surtout durant moins de temps, les horreurs oubliées des générations nouvelles, tout ce que la guerre, comme on la comprenait, comportait de fléaux réunis. « Qui n’en aura goûté ne les croira, » nous dit Montaigne. Et le proverbe était « qu’où les reîtres ont passé, on n’y doit point de dîmes. » Les efforts des chefs de troupes régulières, en vue de maintenir quelque vestige de discipline, les soudards « branchés » à quelque arbre de la route, avec les robes de femme et les ustensiles de ménage qu’ils avaient dérobés, n’étaient pas pour effrayer la tourbe des petites bandes papistes ou huguenotes, royales ou impériales, qui, dans leurs zigzags multipliés à travers le plat pays, cognaient à qui mieux mieux sur la tête de turc de l’infortuné « Jacques Bonhomme, » Les denrées de première nécessité, ne pouvant, ni circuler, ni même être toujours produites en quantité suffisante, augmentèrent dans des proportions phénoménales ; les prix inouïs du blé, de la viande, contribuaient à aggraver la misère.

On risquerait cependant d’exagérer si, de traits épars, dont on ferait masse, on traçait un tableau poussé au noir plus qu’il ne convient. Le XVIe siècle n’est pas accablé sous le poids de ses malheurs, comme l’avaient été, chez nous, le XVe et la fin du XIVe. Il lutte, il se débat, il ne perd pas courage. Si l’état matériel eût été aussi épouvantable que précédemment, la propriété foncière n’eût pas augmenté, comme on vient de le dire, de 1526 à 1600. Il y avait des provinces exclusivement catholiques et d’autres exclusivement protestantes où l’on se battait moins ; et, dans les dernières surtout, à partir de la mort d’Henri III, on respira. On ne se