Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 118.djvu/870

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de l’ensemble des découvertes qui constitue ce qu’on appelle le progrès.

Comparez le chemin respectivement parcouru, depuis le milieu du moyen âge, par les possesseurs de biens meubles et immeubles : supposez deux propriétaires de 1,000 livres tournois, ou 21,750 fr., en 1200, dont l’un fait valoir son argent en prêts mobiliers, au taux de 20 pour 100 et en retire peut-être 4,500 francs, par an, et dont l’autre le place en fonds de terre. Ce dernier peut acheter alors 161 hectares à 135 francs chacun, qui lui rapporteront 2,170 francs. En 1400, les 1,000 livres, ou 6,850 francs, représentent 77 hectares à 89 francs. Cependant le propriétaire de 161 hectares du XIIIe siècle en retire encore, malgré la dépréciation de son fonds, 1,430 francs, à peu près autant que le capitaliste peut tirer de ses pièces de monnaie à 20 pour 100.

En 1600, l’hectare vaut 277 francs au lieu de 89, et les 1,000 livres ne valent que 2,390 francs. Par suite, le propriétaire d’argent ne pourra plus acheter que huit hectares et demi avec ce même capital nominal qui, dans les siècles passés, lui en eût donné 77 ou 161. Ses 2,390 francs, placés à 8 pour 100, en rentes d’état ou en « offices » publics, lui rendront au maximum 200 francs par an, tandis que le maître des 16 j hectares jouira annuellement d’un revenu de 2,254 francs. La distance qui sépare ces deux hommes s’accroîtra encore jusqu’à la révolution, jusqu’à nos jours. En 1790, après les péripéties des deux derniers siècles, et les alternatives de succès et de revers par lesquelles ils ont passé, les héritiers de ces deux individus sont replacés face à face : le rentier n’a plus que 950 francs, et n’en tire plus qu’un intérêt de 47 francs par an ; le terrien, avec ses 161 hectares du XIIIe siècle, possède un capital de 122,500 francs qui lui rapporte 4,250 francs. Au lieu de 161 hectares que son aïeul eût pu acheter jadis, le propriétaire de bien meuble ne pourrait pas, avec son reste de fortune, en acheter beaucoup plus d’un, au jour de la révolution, puisqu’il ne dispose plus que de 900 francs et que l’hectare alors en vaut moyennement 764.

Si l’on borne la comparaison aux temps modernes, et qu’on fasse débuter à Henri IV deux fortunes foncière et mobilière, chacune de 10,000 livres (ou 23,900 francs) en capital, la première permettra d’acquérir, en 1601, 82 hectares qui rapporteront annuellement 1,150 francs au début, 1,560 francs sous Colbert, 935 francs dans les dernières années de Louis XIV et 2,130 francs à la veille de la révolution. À cette époque, le capital représenté par ces 82 hectares n’est plus de 23,900 francs, mais de 62,650 francs. Au contraire, les 23,900 francs placés en valeurs mobilières, en rentes,