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bouts de l’horizon ; en avant, l’Océan apportant ses grosses vagues, ses vraies vagues qui arrivent d’Amérique, courant, se suivant pendant des nuits et pendant des jours au-dessus des abîmes. Arrêtées dans leur course par le fond qui s’exhausse, haletantes, quoique non lassées, elles roulent leurs volutes glauques et font retentir le tonnerre lointain de leurs sourds et éternels grondemens qui ressemblent à de grands soupirs. Le spectacle est tellement grandiose qu’il n’émeut pas immédiatement. Il se voit, et très lentement, lorsque la première sensation est passée, il pénètre, se grave dans l’esprit et l’on saisit alors sa majesté. On a l’infini devant soi et rien ne vous y a amené. Tout s’y trouve dans une complète proportion, car tout est immense. Quelques détails se distinguent sur la blancheur de la plage, une embarcation brisée, quelques herbes marines, des débris de filets, épaves de la dernière tempête ; mais il faut les chercher avant de les apercevoir et leur découverte augmente encore la grandeur du tableau. J’ai éprouvé la même sensation de profonde mélancolie, de l’effrayante annihilation de l’homme devant la nature, en me promenant sur l’isthme sablonneux qui relie l’Ile de Langlade à Miquelon, près de Terre-Neuve, où, là aussi, je marchais au milieu des carcasses des navires naufragés. Au cap Ferret, dès que le vent souffle, il s’empare du sable desséché, le masse, le redresse comme un panache, l’emporte du bord de la mer vers la terre et, subitement, le tourbillon s’évanouit, le sable retombe, la dune est en train de se former.

L’Océan apporte sans cesse du sable à la terre ; les roches, les minéraux amenés à la mer, s’y triturent, s’y usent, y sont attaqués mécaniquement par leur frottement mutuel, physiquement par l’eau qui les dissout, chimiquement par le sel et l’eau qui en transforment les composans. Finalement ils sont réduits en argile fine entraînée dans les profondeurs du centre du bassin océanique et en grains à peu près uniquement quartzeux, le sable. Une partie de celui-ci s’entasse sous les eaux et devient l’élément constituant des grès de l’avenir ; une autre partie est poussée sur la plage lorsque les conditions ambiantes sont favorables comme le long des côtes basses qui s’étendent de l’embouchure de la Gironde à l’embouchure de l’Adour, région balayée par des vents assez réguliers et, en conséquence, par de violens courans. Le flot l’apporte au moment de la marée montante et l’abandonne à la marée basse. Le sable mouillé conserve sa cohésion ; le vent le dessèche, le rend meuble, l’emporte en tourbillons, le laisse retomber au-delà de la plage, vers la terre, et il se dispose en dune.

La dune offre l’aspect d’une colline à pente douce du côté d’où souffle le vent, c’est-à-dire du côté de la mer. Le sable la remonte jusqu’à ce que, arrivé au sommet, il s’éboule sur la pente opposée,