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vraie. Elle explique un peu du charme, un peu des mœurs, un peu des choses et des hommes de ce pays, qui n’est pas tout latin.


— Je ne suis pas arrivé à temps pour la première représentation des Rantzau. J’assiste à la seconde. La grande salle de la Pergola est toute pleine. Le succès de Mascagni devient un peu une affaire nationale. On est venu, pour y applaudir, de toutes les provinces de l’Italie. Et il suffit, pour s’en convaincre, de jeter un regard sur les loges et les fauteuils. Les types les plus variés s’y rencontrent. C’est d’abord le plus commun de tous, parmi les hommes, la face épaisse du Piémontais, le nez court et gros, la moustache dure, arquée, tombante au coin de la bouche. L’énergie, la rudesse même paraît en être la note dominante. Cependant, ce gros bonhomme qui cause avec son voisin, et qui peut être un industriel, un marchand, un député, un impresario indifféremment, a le sourire madré. Quand sa lourde main se lève, chose curieuse, le geste est délicat, très expressif. Et on se demande si cet énorme corps ne cache pas une âme fine, à ses heures. À côté, il y a des Florentins, gens de race, assurément, des têtes d’artistes riches et soignés, éminemment impressionnables, avec ce je ne sais quoi d’élégant et d’impénétrable qui caractérise tant de physionomies italiennes. J’aperçois aussi des Méridionaux, très noirs de cheveux, pâles, plus fiévreux de regard. Quelques-uns ont le masque court, la barbe en avant, très frisée, l’air astucieux, passionné, défiant. Encadrés, ils ressembleraient aux portraits des vieux condottieri qu’on voit dans les musées. Presque personne, malgré la solennité, ne porte le chapeau de soie. Mon voisin m’assure que le chapeau rond est préféré par une raison d’esthétique, les Italiens trouvant que le campanile noir dont nous nous coiffions détruit l’harmonie des lignes. Chez les femmes, le type de Junon ou de Minerve est le plus fréquent. Beaucoup de beaux yeux sombres et de traits réguliers, imposans. Les Dianes blondes sont plus rares, j’entends parmi les femmes du monde : elles courent les ruelles de Venise ou de Naples. Le rideau se lève. Mascagni n’a pas à se plaindre de la froideur du public. Je compte les rappels. Le jeune compositeur est rappelé sept fois au premier acte, six fois au second, quatorze fois au troisième et huit fois au quatrième. À chaque fois que les applaudissemens éclatent, les acteurs, — dont deux au moins sont très bons, — s’interrompent. L’un d’eux s’en va vers la coulisse, et revient avec Mascagni, qui, souriant et grave, salue, montre de sa main libre les interprètes, pour faire entendre qu’il reporte sur eux tout l’honneur du succès, et se retire à reculons, un peu gauche, derrière un portant. Il a, d’ailleurs, une large, heureuse et