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de New-York, jusqu’à 2,000 régimes de bananes par semaine. Il les payait un franc, en marchandises, il les revendait de 5 francs à 7 fr. 50 en numéraire ; aussi, nonobstant les déchets, ses affaires prospéraient.

Ce n’était encore là qu’un début ; les commandes se multipliaient en même temps que les envois. Jusqu’alors on ne cultivait, à Baracoa, qu’une variété de bananes, dite rosée ; c’est la musa paradisiaca des botanistes, son rendement est d’environ 25 kilogrammes de fruits par régime. Gomez avait remarqué que la banane verte, dite porgie ou bananier de Chine, mûrissait plus tôt, se vendait mieux et laissait un bénéfice plus considérable. Il s’ingénia donc à en multiplier la culture, et Baracoa ne tarda pas à être entourée d’une verdoyante ceinture de bananeries. Le succès de Gomez, sa fortune grandissante lui suscitèrent des concurrens, mais il avait de l’avance sur eux, et la plus-value des terrains dont il était propriétaire compensait, bien au-delà, le dommage plus apparent que réel qui semblait devoir résulter pour lui de l’entrée en scène des capitalistes américains.

Ceux-ci allaient, en effet, étendre et consolider sa fortune, tout en augmentant la leur. Attirés par l’appât de gros bénéfices à réaliser, des syndicats se constituaient pour acheter des terres, les planter et expédier des bananes dans les ports des États-Unis. D’aucuns, avec l’intention de décourager ceux qui pouvaient être tentés de suivre leur exemple, prédisaient bien, à bref délai, un excès de production et une baisse des prix de vente, mais leurs pronostics ne se réalisèrent pas ; la consommation croissait et les prix se maintenaient. Chose singulière, ce ne fut qu’en 1880 que l’on s’avisa de recourir au transport rapide par bateaux à vapeur pour diminuer la perte énorme de 50 pour 100 sur les expéditions. Le résultat dépassa les espérances. Dans l’entrepont, aménagé à cet effet, les régimes étaient accrochés et maintenus à distance les uns des autres, de manière à ne pas s’entre-choquer ; chaque jour on les visitait, détachant les fruits avariés dont le contact pouvait gâter les autres, et on arriva à réduire de 50 à 30, puis à 20 pour 100 le déchet occasionné par le voyage. Plus tard, on devait faire mieux encore et le ramener à 5 pour 100. Cueillies au début de leur maturité, transportées en peu de jours à New-York, les bananes y arrivaient en bonne condition.

Quelques chiffres empruntés aux statistiques américaines donneront une idée de l’importance de ce commerce. Du 1er janvier au 31 décembre 1889, les ports américains ont reçu 12,582,550 régimes de bananes. Si l’on tient compte de ce fait que chaque régime pèse, en moyenne, de 30 à 40 kilogrammes, — on en a récolté qui dépassaient 100 kilogrammes, — et se compose d’au