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son passe-partout. C’est là leur principale occupation dans le centre de la ville, où les rues sont sûres ; il n’en est pas de même dans les quartiers excentriques où s’entasse la population des faubourgs. Là, ils sont souvent en contact avec les souteneurs qui pullulent dans ces parages.

Une nuit de septembre 1888, un de ces gardes de nuit fut assailli par une bande de malfaiteurs qu’il gênait dans l’effraction de la porte d’une église (cependant les églises de Berlin sont bien pauvres) et assassiné.

Peu de temps après le crime, une femme publique, nommée Heinze, offrit ses services à la police comme indicatrice ; elle fournit des renseignemens assez précis sur le crime, elle reconnut même, dans la collection des photographies de la sûreté, un individu qu’elle prétendit être l’auteur principal de l’assassinat, mais celui-ci parvint à démontrer victorieusement un alibi, et la police conçut des soupçons contre le mari de la Heinze et celle-ci. C’était un triste ménage : la femme, plus âgée de quinze ans que son mari, avait épousé un souteneur, uniquement pour se soustraire au contrôle de la police des mœurs.

Toute une série de circonstances ont attiré l’attention sur le procès. Les avocats, chargés de défendre les accusés, se firent remarquer par leur attitude agressive contre le président des assises, par les rafraîchissemens et le Champagne qu’ils se firent apporter à l’audience, par le conseil qu’ils donnèrent aux Heinze de ne pas répondre aux questions pouvant les incriminer, et par la demande d’un supplément d’information. Au bout de quelques audiences, le procès fut interrompu et renvoyé à une autre session.

Comme je l’ai déjà dit, les attentats contre la vie sont relativement rares à Berlin. Une comparaison avec d’autres capitales tournerait à l’avantage de l’Allemagne. En revanche, la propriété y est d’autant plus menacée, et, sous le rapport des vols, Berlin occupe la première place. Les voleurs forment en quelque sorte le noyau des malfaiteurs de profession, les autres se groupent autour d’eux. Leur organisation, d’après l’auteur anonyme du Monde du crime, serait due, dans une certaine mesure, à des juifs de Posnanie. Au commencement du siècle, il existait, dans cette province de la Prusse, une caste de voleurs vivant exclusivement du vol et qui élevaient leurs enfans dans le métier. La campagne et les petites villes ne leur offraient pas de butin suffisant, ils entreprenaient des voyages d’affaires à Berlin et à Breslau, jusqu’à Francfort-sur-le-Mein. Ils procédaient par effraction et, à cet effet, opéraient en bandes ; ils envoyaient des explorateurs en avant, puis le gros de la bande arrivait dans une voiture leur appartenant, et qui leur servait