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et je crois qu’il la faut considérer comme éminemment satirique. Haine, mépris, colère, il y en a dans plusieurs de leurs inventions, et il y en a davantage dans les détails qui en sont l’habituel ornement. Lisez plutôt dans le recueil de M. de Montaiglon le fabliau de Constant du Hamel.

Faut-il aller plus loin, ou plus profondément ? En tant que satiriques, si Constant du Hamel ou le fabliau du Prêtre qu’on porte témoignent assez éloquemment de l’état d’âme de nos pères, leur attribuerons-nous cet autre mérite encore d’égaler, de remplir, d’épuiser la définition de « l’esprit gaulois ? » d’être vraiment caractéristiques d’une manière nationale de concevoir la vie ? et, comme les Chansons de geste passent pour incarner « l’esprit germanique dans une forme romane, » ou les Romans de la Table-Ronde pour être le merveilleux épanouissement de la « poésie des races celtiques, » dirons-nous des Fabliaux qu’ils expriment les traits essentiels du génie français ? À la vérité, cet « esprit gaulois » ni ce « génie français » ne sont faciles à définir ; et, par exemple, si Rabelais, si Molière, si La Fontaine, si Voltaire en tiennent, il semble que les Fabliaux soient alors bien éloignés d’en être des modèles. « L’esprit gaulois est sans arrière-plan, sans profondeur, nous dit M. Bédier ; il manque de métaphysique ; il ne s’embarrasse guère de poésie ni de couleur, il n’est ni l’esprit de finesse, ni l’atticisme. » Et je reconnais là l’esprit des Fabliaux… Mais si peut-être Voltaire ne manque pas toujours d’esprit de finesse, ni Molière de profondeur, ne sont-ils Gaulois qu’autant qu’il leur arrive d’en manquer quelquefois ; ou, au contraire, ce qu’ils en ont à l’habitude ne doit-il pas entrer dans la définition du génie français ? C’est une question que l’on ne saurait résoudre sans avoir examiné celle de l’origine des Fabliaux. Il n’y en a guère de plus intéressante, ni de plus obscure. D’où viennent donc les « thèmes » de ces « contes à rire ? » Le Petit Poucet nous est, dit-on, venu de l’Inde ! Pourquoi le Dit de la vieille Truande n’en viendrait-il pas aussi lui ? Si la méthode ou l’objet même de la littérature comparée dépendent de la solution du problème, et si la discussion en fait la partie la plus neuve du livre de M. Bédier, nous ne pouvons avoir, en quelques pages, la prétention de les résumer, mais nous ne pouvons nous dispenser d’en effleurer quelques points.


II

La première tentation qui s’offre, comme étant la plus naturelle, c’est d’admettre que « chaque conte ou chaque type de contes