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aurait pu être inventé, ou réinventé de nouveau, un nombre indéfini de fois, en des temps ou des lieux divers, » et qu’ainsi « les ressemblances que l’on constate entre les contes des divers pays proviennent de l’identité des procédés créateurs de l’esprit humain. » Soit, par exemple, l’histoire qu’Hérodote a contée de la pantoufle de Rhodopis, ou l’histoire de Cendrillon. Quelques détails peuvent différer, mais si les hommes, un peu partout et de tout temps, ont estimé à haut prix la petitesse et l’élégance des extrémités chez la femme, pour diverses raisons, — dont la principale pourrait bien avoir été d’empêcher leur « compagne » de s’enfuir, — quelle manière plus saisissante, ou plus concrète, et plus claire, d’en exprimer l’idée, que de faire épouser la plus petite pantoufle du monde par le plus grand des Pharaons ou le plus somptueux des rois de féerie ? Pareillement, soit encore Perrette et le pot au lait, d’une part, et de l’autre l’histoire du brahmane Svabhâvakripana, ce qui veut dire un avare de naissance. Ce pauvre diable ayant fondé, sur un pot de riz qu’il avait économisé, de grandes espérances de fortune, fit un rêve, comme l’on sait, et dans ce rêve un geste malheureux, d’où, son pot étant brisé, ses espérances se répandirent par terre, avec son riz. « Malgré la transformation du brahmane en laitière, et quoiqu’il ne soit aucunement question de poulets ni de porcs dans l’original hindou, personne, — disait M. Max Millier, il y a plus de vingt ans, — ne mettra en doute que nous n’ayons là les germes de la fable de La Fontaine. » Et pourquoi non ? Qu’est-ce que le rêve du brahmane ou celui de notre Perrette ont donc de si particulier ? Pourquoi, je le demande, n’admettrions nous pas que la leçon qu’ils contiennent, procédant de la même expérience, ait elle-même créé deux fois sa forme ? Car enfin, « un pot au lait » n’est pas « une écuelle de riz ; » des « poulets » ne sont pas « une paire de chèvres ; » et un « coup de pied » n’est pas un « saut » qu’on fait de joie. Il y avait des Vestales au Pérou, comme à Rome. Cela prouve-t-il que les Péruviens fussent une colonie romaine ? ou les Romains peut-être une colonie péruvienne ? ou Romains et Péruviens les descendans d’un ancêtre commun ? En aucune façon : « Chez les anciens Prussiens, — dit Lubbock, d’après Voigt, — on entretenait un feu perpétuel en l’honneur du dieu Potrimpos, et s’il le laissait s’éteindre, le prêtre qui en était chargé était puni de mort. » Je conclus de là que plusieurs sortes d’hommes ont jugé que le feu était bon… Si donc l’humanité ne diffère pas d’elle-même autant qu’elle s’en flatte quelquefois, et si les caprices de son imagination, rencontrant de toutes parts la réalité pour limite, sont nécessairement ramenés à l’expérience comme au juge de leur