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dès le début, que la réunion serait complètement ouverte et ne prendrait aucune résolution.

La première de ces deux clauses enlève toute espèce d’intérêt à ce démembrement du congrès officiel, les opinions émises par les membres de ce genre de conciles ne méritant d’être recueillies qu’autant que les orateurs sont censés parler au nom d’un groupe plus ou moins nombreux de travailleurs. Ce congrès officiel lui-même n’a pas offert, pendant ses six journées de session, plus de nouveauté dans ses aperçus ou ses conclusions que tous ceux qui le suivront et l’ont précédé. Il a même témoigné d’un état d’esprit beaucoup plus confus que des réunions plus restreintes, quoique très vastes encore, comme celle des mineurs qui eut lieu à Bruxelles au mois de mai dernier, et qui déclarait légiférer au nom d’un million de têtes. À Bruxelles, au milieu du vide des déclamations inhérentes à ces champs de mai du prolétariat, on avait pu aborder des discussions pratiques : celle de l’assimilation, au point de vue de la journée de huit heures, des ouvriers du fond à ceux de la surface, celle encore d’une inspection supplémentaire des mines à confier exclusivement aux ouvriers. Sur ces deux questions du reste, la majorité avait émis des votes raisonnables. D’où l’on peut conclure que, si l’échange international de vues qui se fait entre ouvriers des divers pays peut avoir une utilité quelconque, c’est uniquement à la condition de comprendre des corps d’état définis, de porter sur des objets précis.

Tel n’était pas le cas à Zurich, où l’ordre du jour embrassait des questions comme l’application générale de la journée de huit heures, l’organisation internationale socialiste, la tactique politique : parlementarisme et législation directe par le peuple ; ou encore la protection des ouvrières et les devoirs des socialistes en temps de guerre. Sur ce dernier point, le congrès s’est chargé de démontrer, sans le vouloir, que l’internationalisme était présentement un vain mot ; car ces 412 délégués, que l’on pouvait croire les plus internationaux de tous les hommes, ont refusé de voter la grève générale des ouvriers, en cas de guerre, la grève militaire des soldats, proposée par un Hollandais convaincu, M. Domela-Nieuwenhuis. Avec une naïveté, ou, si l’on veut, avec une duplicité passablement naïve, ces gens venus de loin pour se déclarer qu’il n’y avait plus ni frontières ni races, et pour proclamer la fraternité universelle entre les « compagnons » et les « compagnes » du monde entier, se sont noyés dans un protocole diplomatique, établissant que « la guerre disparaîtrait avec la domination des classes, » que la paix serait le résultat de la chute du capitalisme et qu’il fallait, par conséquent, s’appliquer d’abord à détruire ce dernier. Tout cela ne dénote-t-il pas quelque ignorance de l’histoire ?