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montrer le sénatus-consulte et la proclamation. Il ne me fut pas difficile de juger, à la première vue, que ces pièces étaient apocryphes, fabriquées par des gens qui ne connaissaient pas les formes usitées. Je me bornai à lui dire que la mort de l’empereur m’étonnait beaucoup, parce que j’avais vu la veille des dépêches apportées par une estafette venue très vite et que, selon ses dépêches, il se portait bien. Peu de minutes après, Mme Pasquier et mon beau-frère ayant pénétré jusqu’à moi, je leur dis que tout ce qui se passait était fondé sur une grossière imposture, qui ne tarderait pas à être reconnue.

Je raisonnais sur l’issue probable de cette échauffourée, lorsque je vis entrer un sous-lieutenant de la cohorte ; j’ai su depuis qu’il se nommait Lefèvre. Il était porteur d’un ordre de Lahorie, ministre de la police, et me signifia qu’il allait me conduire à la Force. Je montai donc à côté du sous-lieutenant dans un cabriolet de place entouré par une douzaine de soldats ; à moitié chemin, remarquant que l’escorte était peu considérable, j’eus l’idée qu’il serait peut-être possible de faire entendre raison à l’officier qui me conduisait. Je pris le parti de lui dire qu’il était dupe d’une grossière imposture, qu’il ne savait pas sans doute les conséquences de sa participation à une affaire fort coupable, qu’il pouvait y perdre la vie ; je lui déclarai que l’empereur n’était pas mort, que le sénatus-consulte en vertu duquel il agissait était faux. Il fut d’abord étonné ; pensant ensuite que ce langage était une ruse de ma part, ou peut-être ayant peur des soldats qui nous accompagnaient, il ordonna à l’escorte de doubler le pas et au conducteur du cabriolet d’aller plus vite.

Nous arrivâmes à la Force. Mon sous-lieutenant se hâta de me mettre entre les mains du concierge, nommé Lebrau ; c’était un fort honnête homme, fils d’un concierge, qui, dans le temps de la Terreur, s’était signalé par les courageux services qu’il avait rendus aux malheureux détenus. Il nie devait sa place. Aussitôt que les portes furent fermées, il se mit à ma disposition ; j’appris de lui ce qui s’était passé le matin dans la prison, lorsque Lahorie, Guidal et Boccheiampe avaient été mis en liberté ; il me dit comment le duc de Rovigo venait de lui être amené, que le général Guidal avait pris, en se retirant, la précaution de confier la garde du poste extérieur à des soldats tirés de la cohorte dont il disposait. Enfin je fus informé que M. Desmarets, conduit aussi par un officier, était arrivé peu après le ministre et avait aussi été constitué prisonnier. Après quelques minutes de réflexion sur le meilleur parti à prendre, sur les premières démarches à faire, je chargeai la femme du concierge d’aller vérifier si une issue de la prison, donnant sur une autre rue que celle de l’entrée principale, était