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de l’hôtel. » Puis, sortant de son cabinet, il alla dans la grande salle, appela le concierge, donna l’ordre d’y apporter une table et des chaises, et se hâta de gagner son appartement particulier, demanda des chevaux, ayant l’intention de se rendre au plus vite chez l’archichancelier. On vint alors lui annoncer que l’adjudant Laborde arrivait, avec des ordres du ministre de la guerre, pour faire retirer la cohorte et la remplacer par d’autres troupes. M. Saulnier eut bientôt appris à M. Frochot l’erreur dans laquelle on l’avait jeté. Sa joie fut alors aussi vive que l’avait été sa douleur ; il se joignit à l’adjudant Laborde pour persuader au colonel d’obéir à l’ordre qui lui était signifié et que ce malheureux était fort tenté de méconnaître. Ne sachant plus auquel entendre, au milieu de tant de faits extraordinaires et contradictoires, il céda cependant, et reconduisit sa troupe à la caserne. Pendant ce temps les chaises et la table, apportées dans la grande salle, étaient remportées ; mais ces préparatifs avaient été remarqués. M. Frochot, dans la joie que lui causait ce dénoûment inespéré, était loin de prévoir tout ce que sa crédulité, si excusable cependant, devait entraîner pour lui de peines et de malheurs.

Dans la journée du 24, les deux chefs de corps, les officiers et sous-officiers qui avaient le plus activement secondé les opérations du général Malet furent arrêtés. Le général Guidal et Boccheiampe furent saisis dans la maison où ils s’étaient retirés. Boutreux, qui avait eu la prétention de remplir les fonctions de préfet de police, échappa dans ce premier moment à toutes les recherches. Il en fut de même de Lafon, qui n’a reparu qu’à la Restauration. Une commission militaire fut assemblée dès les premiers instans pour juger les prévenus.

Malet et ses principaux agens appartenaient au parti révolutionnaire, c’était de ce côté que devaient être dirigées les recherches ; cependant les pièces saisies sur les conjurés renfermaient des données contradictoires ; ainsi le sénatus-consulte portait comme membres du gouvernement provisoire des hommes connus pour leurs sentimens royalistes et contre-révolutionnaires. On y voyait figurer M. Mathieu de Montmorency, M. Alexis de Noailles, à côté de l’abbé Sieyès. Le mariage de Marie-Louise était cassé, le jeune Napoléon était déclaré illégitime, on abolissait la conscription et une partie des impôts indirects. Le pape était rendu à ses États, un congrès indiqué pour travailler à la paix générale, que la France rendait facile en rentrant dans ses anciennes limites. L’inaliénabilité des domaines nationaux était garantie ; ce mot inaliénabilité pouvait être interprété de manières fort différentes. L’ordre du jour signé Malet n’était pas moins étrange, il donnait le