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me trouvai en sa présence, depuis sa rentrée au palais des Tuileries ; il n’y avait personne autour de moi qui ne fût très attentif à la manière dont il allait me traiter. Beaucoup s’attendaient à une scène qui me serait pénible. Cette attente fut trompée. Les renseignemens qu’il avait recueillis la veille avaient, apparemment, dissipé les nuages élevés sur ma conduite ; il m’aborda d’un air fort affable et me dit à mi-voix, de manière à n’être entendu que de moi : « Eh bien, monsieur le préfet, vous avez eu aussi votre mauvaise journée ; il n’en manque pas de cette espèce dans la vie ! »

À la suite de cette audience, Napoléon reçut en grande cérémonie le Sénat et le Conseil d’État. Les orateurs de ces deux corps avaient déjà reçu leurs instructions sur la manière dont ils devaient s’exprimer ; jamais donc l’expression n’a moins répondu aux sentimens qui étaient au fond des cœurs. Dans ces discours, une grande place avait été faite à la conspiration Malet. « Des hommes, échappés des prisons où la clémence impériale les avait soustraits à la mort méritée par leurs crimes passés, ont voulu, disaient M. de Lacépède et M. Defermon, troubler l’ordre public dans cette grande cité ; ils ont porté la peine de leurs nouveaux attentats. » La mention de cet événement conduisait naturellement à des réflexions sur les heureuses garanties de tranquillité que la constitution monarchique et l’hérédité dans la couronne assurent aux États. Rien ne devait donc être négligé pour consolider cette garantie.

M. de Lacépède rappelait que « dans les commencemens des anciennes dynasties françaises, on avait vu plus d’une fois le monarque ordonner qu’un serment solennel liât d’avance tous les Français de tous les rangs à l’héritier du trône. Quelquefois, quand l’âge du jeune prince l’avait permis, une couronne était placée sur sa tête comme le gage de son autorité future et le symbole de la perpétuité du gouvernement. » Cette réminiscence avait été certainement inspirée par l’empereur, et annonçait suffisamment ses projets. M. Defermon, de son côté, s’écriait ; « Dieu qui protège la France la préservera longtemps du plus grand des malheurs ; mais dans cette circonstance tous les cœurs se rallieraient autour du prince objet de nos vœux et de nos espérances ; chaque Français renouvellerait à ses pieds ses sermens de fidélité et d’amour pour l’empereur. »

Napoléon, en répondant à ces deux harangues, parla peu de ce qui avait trait à la guerre ; seulement, il assura que celle qu’il avait entreprise contre la Russie était toute politique, qu’il la faisait sans animosité. Il aurait pu armer la plus grande partie de la population, en proclamant la liberté des esclaves ; il s’était refusé à cette