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étroitement unis en lui et se pénètrent l’un l’autre, tant il se livre tout entier dans tout ce qu’il écrit. Il l’a prouvé dans les pages touchantes qu’il a placées en tête de la publication des œuvres posthumes de son frère Arsène, cet homme d’une science aussi profonde que discrète, que la mort nous a prématurément enlevé. M. Darmesteter s’est lancé dans la bataille de la vie avec toute son âme, toutes ses convictions, toutes ses aspirations et toutes ses affections. Doué d’un esprit singulièrement clair et pénétrant, maître dans les études ardues où il s’est depuis longtemps fait un nom, il appartient à cette famille d’esprits généreux qui cherchent un lien entre le passé et l’avenir, et, s’il a des partisans et des admirateurs, il provoque aussi la contradiction.

On n’a pas oublié ce Coup d’œil sur l’histoire du peuple juif, une brochure de vingt pages, pleines de pensées hardies, dans laquelle il revendiquait pour le judaïsme tout ce qu’il y a de plus grand dans le christianisme, et proclamait l’éternité des postulats de la conscience juive. M. Darmesteter a repris les mêmes idées et les a développées dans un volume sur les Prophètes d’Israël, qui a soulevé de vives polémiques. Il tient, en effet, du philosophe autant que du savant. C’est aussi un observateur, qui a l’œil ouvert sur tout ce qui touche son âme impressionnable. Ses Mélanges de littérature anglaise nous l’ont révélé sous un jour assez nouveau. Il y a en lui un côté par où la fantaisie s’allie à la recherche scientifique la plus austère.

Sa traduction du Zend-Avesta ne paraît pas devoir prêter à des discussions passionnées. C’est une œuvre de science pure, fruit de longues années de travail. Il y a plus de vingt ans que M. Darmesteter a entrepris l’étude de l’Avesta. Un travail sur Haurvatât et Ameretât, ces deux personnifications mythologiques qui symbolisent la santé et l’immortalité, paru en 1875, marqua sa place parmi les interprètes de l’Avesta. Deux ans plus tard, il s’attaquait au problème central de la religion de Zoroastre, Ormazd et Ahriman, le principe du bien et celui du mal. Puis, en 1880, on vit paraître dans la collection des Sacred books of the East, publiée sous la direction de M. Max Muller, le premier volume d’une traduction anglaise de l’Avesta, qui fut bientôt suivi d’un second en 1883. En même temps, il nous donnait ses Études iraniennes, qui furent considérées comme faisant époque. Depuis longtemps, on n’avait plus entendu parler du Zend-Avesta, et les amis de M. Darmesteter pouvaient craindre qu’il ne se laissât détourner de son œuvre par d’autres travaux, lorsqu’ont paru, presque coup sur coup, dans les Annales du musée Guimet, les trois gros volumes qui forment la traduction complète de l’Avesta.