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LA CHIMIE DANS L’ANTIQUITÉ.

romain. Il y est même question de la fabrication des représentations colorées des dieux, dans un passage qui est traduit à peu près textuellement de Zosime.

Ce sont là des résultats d’un haut intérêt pour l’histoire de la chimie romaine ; surtout si on les rapproche d’un essai de Caligula pour fabriquer l’or avec le sulfure d’arsenic, essai relaté par Pline, et d’un passage de Manilius, poète du temps de Tibère, sur l’art de multiplier les métaux, ainsi que d’une phrase de Sénèque sur les procédés attribués à Démocrite pour amollir l’ivoire et colorer le verre. Tous ces faits concourent à établir la diffusion des connaissances et des prétentions alchimiques dans l’Occident latin, dès les débuts du moyen âge et antérieurement à toute influence arabe.

Le traité latin original que je décris en ce moment ne s’occupait pas seulement de l’or et de l’argent, mais des autres métaux, cuivre, fer, plomb, étain. Malheureusement cette portion du livre n’est pas venue jusqu’à nous ; nous possédons seulement une table de ce groupe d’articles, dans le manuscrit de Schlestadt. Or cette table présente une frappante analogie avec le contenu d’un traité de Zosime, subsistant à l’état de version syriaque, qui sera examiné tout à l’heure.

À la suite, toujours comme dans les manuels grecs, venaient des articles sur les verres colorés et sur le travail des perles. Parmi les titres de la vieille table, on lit notamment le suivant : fabrication du verre incassable. Il s’agit d’un récit d’après lequel le verre incassable aurait été inventé du temps de Tibère, qui en interdit la fabrication par la crainte de ses conséquences économiques. La légende a même transformé le verre incassable en verre malléable. Or, d’après la lecture des vieux textes, il semble que la recette n’ait jamais été perdue et qu’elle ait subsisté à l’état de secret de fabrique, pendant tout le moyen âge. Il en est souvent fait mention, mais toujours comme d’un mystère merveilleux. On sait que le verre incassable a été découvert de nouveau de notre temps ; mais sans que cette découverte ait amené jusqu’ici de grandes conséquences, à cause de l’impossibilité de travailler un tel verre après refroidissement, en raison de son instabilité.

Le traité latin se terminait par deux articles dont la perte est fort regrettable : l’un relatif aux signes alchimiques, probablement les mêmes que ceux des Grecs ; l’autre à la « prière qu’il faut réciter pendant la fabrication de l’or, afin que l’or soit réussi. » Ces mots sont un dernier cachet d’origine, qui atteste le mélange d’incantations religieuses et de recettes industrielles, sur lequel reposait la science chimique d’autrefois.

Ainsi les pratiques et les imaginations des vieux métallurgistes et