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à nous, chrétiens de l’Ombrie, qui voyons marcher parfois, sur les grèves du lac de Pérouse, l’ombre lumineuse de Jésus, telle qu’autrefois les apôtres l’aperçurent au bord de la mer de Galilée. Si jamais une voix s’élève pour prêcher cette foi des premiers jours, c’est de mon humble pays qu’elle partira. Elle résonnera plus haut que les clameurs des moines, plus haut que la parole pontificale du Latran, et le monde, en l’écoutant, tressaillira, croyant à une rédemption nouvelle. Mais, à cette heure, ce qui nous importe, c’est de vous enlever à Egidius. Suivez-moi. »

Et, prenant le jeune homme par la main, il descendit en hâte l’escalier tortueux de la tour. Chemin faisant, il apprit à Victorien les graves événemens des derniers jours. La lutte pour l’autorité suprême sur la chrétienté, engagée depuis si longtemps entre le pape et l’empereur, était arrivée brusquement aux dernières violences. L’empereur Henri, présidant à Worms le concile de l’église allemande, venait de déposer Grégoire VII comme faux pape, faux moine, pape hérétique, démoniaque et impur. Les évêques allemands s’étaient engagés, chacun par écrit, à considérer Grégoire comme antipape et à lui refuser l’obédience canonique. L’église lombarde, décimée par l’excommunication du saint-père, réunie en concile à Pavie, s’était séparée à son tour de la communion de Grégoire. La tunique sans couture se déchirait pour la seconde fois. L’église universelle chancelait, telle qu’un arbre dont la hache aurait coupé l’une après l’autre les racines les plus puissantes. En ce moment, Grégoire tenait, dans l’église de Saint-Sauveur, au Latran, un concile romain avec ses cardinaux et les évêques d’une moitié de l’Italie. L’envoyé de l’empereur, un simple clerc de l’église de Parme, portant l’acte de la déchéance d’Hildebrand, devait comparaître ce jour même devant les pères du Latran.

— Tant d’angoisse, et une guerre si cruelle, murmurait l’évêque d’Assise, parce qu’ils ont oublié une ligne de l’Évangile : « Mon royaume n’est pas de ce monde ! »

Mais il espérait, avec sa simplicité apostolique, que Grégoire VII, dans le tumulte de cette heure formidable, prendrait le loisir de pourvoir à cette très petite chose : l’âme d’un enfant à ranimer et à réjouir.

Ils pénétrèrent dans l’église à une minute solennelle. Le messager impérial, debout en face du pape couvert de la chape cramoisie et entouré du sacré-collège, prononçait la sentence édictée par Henri IV :

« Le roi, mon seigneur, ordonne que tu quittes à l’instant l’église romaine et le siège du bienheureux Pierre. »

Puis, se tournant vers le clergé de Rome, il ajoutait :