Page:Revue des Deux Mondes - 1893 - tome 119.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Victorien demeurait immobile, ému presque jusqu’aux larmes, suivant des yeux la chevelure blonde flottant sur la dalmatique d’hermine, la blanche créature, droite et pure comme le lis, qui venait de traverser l’ombre mélancolique de son adolescence. Quand la chevauchée remonta la côte du Cœlius, la mule blanche parut plus haute encore dans le poudroiement doré du couchant. Puis, tout pâlit et s’effaça peu à peu, les nonnes et les écuyers, le cardinal rouge et les moines noirs, les armures d’acier, les panaches multicolores, l’étendard de Toscane, marqué du lion de Florence, la bannière du saint-siège portant les clés du paradis ; mais Victorien voyait toujours, montant vers la maison de Grégoire VII, une vision blanche. L’évêque d’Assise lui toucha doucement l’épaule.

— Voici le froid du soir, mon fils, il vaut mieux marcher que de prendre la fièvre. Où allons-nous, à cette heure ?

— Au Latran, répondit le jeune homme.

Ils rentrèrent en pleine nuit au palais pontifical. Déjà les cours, les vastes salles et les corridors, si bruyans ce matin-là, avaient repris leur aspect funèbre. Çà et là, les gros cierges de cire jaune, maintenus aux murailles par des bras de fer, tachaient les ténèbres d’une lueur louche. De loin en loin, un moine, portant sa petite lampe, le capuchon rabattu sur les yeux, se glissait sans bruit dans sa cellule. Joachim offrit à son disciple un souper auquel celui-ci fit joyeusement honneur. Un moinillon, attiré par l’odeur du festin, leur apprit alors que le pape, fatigué par les travaux du jour, avait remis au lendemain sa rencontre avec Pia et que la dame abbesse, à peine installée dans le pavillon réservé à sa compagnie féminine, avait demandé un confesseur tout à fait austère, au tribunal de qui la fillette dut s’agenouiller sur-le-champ.

— Il y a des chrétiens si farouches, dit Joachim, qu’ils enverraient à confesse même les petits oiseaux.

Victorien revint à sa pauvre cellule, respirant toujours le bouquet de Pia, dont le parfum le grisait d’une sorte d’allégresse. Et il s’endormit en murmurant la chanson grecque des écoliers et des clercs :

« Hirondelle, reine hirondelle, hirondelle des printemps passés, salut à toi !

« Le printemps fleuri s’avance du côté de l’Orient et voici le Sauveur, qui est pour le monde entier la lumière et la résurrection. Amen ! Amen ! »


EMILE GEBHART.