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les avantages ou les inconvéniens de l’application aux colonies du tarif général des douanes. On ne saurait se dispenser toutefois de constater que les budgets locaux en ont été bouleversés et qu’il en est résulté un accroissement de charges qui retombe presque tout entier sur les travailleurs et les pauvres gens. Le commerce d’importation, aux Antilles, a su dextrement tirer son épingle du jeu. Tout a renchéri à l’excès. À Saint-Pierre, pris d’un beau zèle pour la légalité et pour le système métrique jusque-là négligé, on en est venu soudain à renoncer à l’aune pour ne plus se servir désormais que du mètre. Le prix de la morue, la principale des denrées alimentaires, de la morue dont se nourrit surtout le peuple, a été élevé. Et l’on s’est malignement empressé d’appeler la malédiction des foules sur la mère-patrie. On faisait en arrière un si grand pas ! On se retrouvait si loin du sénatus-consulte de 1861 et de la liberté commerciale ! Après tout, le tarif général des douanes, c’était, comme sous l’ancien régime, l’obligation de ne plus acheter que ce qui venait de France. Avec cela, des habitudes commerciales avaient été prises du côté des États-Unis. Chez certains négocians de la Martinique, le plan du président Harrison, qui voulait donner à la grande république l’hégémonie commerciale du Nouveau-Monde tout entier, sud et nord, îles et continens, ne rencontrait pas de résistance, au contraire. En vingt-cinq ans, les importations des États-Unis étaient montées de 3,495,000 francs à près de 10 millions de francs. Quelle perturbation ne devait pas jeter dans ce courant l’inauguration d’un nouveau régime ou plutôt le retour aux anciennes défenses douanières ?

Des tempéramens ont été apportés au tarif général pour les Antilles, mais ils n’ont pu porter ni sur la morue, ni sur les tissus, ni sur la métallurgie. L’intérêt de l’armement maritime, celui des grandes industries textiles, celui de la défense nationale engagée à protéger l’industrie du fer, ne permettaient pas qu’il en fût autrement. Et voilà comment, alors que déjà toutes les choses nécessaires à la vie étaient vendues à des prix élevés, avec des bénéfices de 50 à 60 pour 100, tout a augmenté encore, et la condition matérielle du travailleur a empiré. Qui pourrait dire ce que l’on mange, et à quels prix, dans les cases perdues, sur les habitations éloignées, où se boit le tafia à plein verre, le tafia, père de la démence, auteur de tant de maux, physiques et moraux ? Et combien s’est accrue la misère des ouvriers des champs ? Sans compter qu’aux droits de douane, édictés par la métropole, s’ajoutent les droits d’octroi de mer, votés par le conseil-général, avec la sanction du Conseil d’État. Souvent on paie deux fois, et, si l’on échappe à une taxe, c’est pour en acquitter une plus forte.