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chef-lieu de la Guadeloupe. Peu ou point de commerce ici, dans la rade foraine ouverte à toutes les tempêtes. Peu de monde dans les rues montueuses et mal pavées. Des ruisseaux que le tout à la mer, une variante du tout à l’égout, transforme en dépotoirs qui marchent. À peine sept à huit mille habitans. C’est la ville des fonctionnaires. Le gouverneur qui, à la Pointe, loge à l’entresol, a un hôtel à la Basse-Terre, vieille construction en bois à moitié démolie et tout à fait démodée, et il est nécessairement le mieux installé. La mairie, petite, est bien située au bord de la mer et de proportions élégantes ; elle est toute neuve. À 6 kilomètres de là et à 500 mètres d’altitude, on a le camp Jacob, un magnifique sanatorium, admirablement situé en un site merveilleux d’où l’on découvre et les monts et la mer. On est au pied de la Soufrière, à proximité du Matouba, des Bains-Jaunes aux eaux tièdes, et des grands bois ombreux coupés de sentiers à peine assez larges pour les petits chevaux créoles. Tout près voici le saut Constantin, la cascade Vauchelet ; un peu plus loin c’est Gourbeyre et Dolé, où l’on prend des bains chauds sous les bambous ; et la vue s’étend jusqu’aux Palmistes et au Morne-Houel, dont la silhouette, les jours d’orage, est vraiment tragique. Après quelques heures passées au camp, où résident les cinquante hommes qui sont toute la force armée de la Guadeloupe, nous voici redescendus à la Basse-Terre, au galop de deux mules vigoureuses, et nous entreprenons un court pèlerinage au fort Richepanse, témoin et souvenir des combats avec les Anglais et aussi des guerres civiles qui mirent, il y a cent ans, les hommes de couleur aux prises avec les troupes de la république. Dans les hauteurs boisées du Matouba, nous avons vu l’endroit où Delgrès se fit sauter plutôt que de se rendre. Une légende prétend qu’avant d’en venir à cette extrémité, le chef des insurgés ensevelit des trésors, des sacs de doublons auprès de l’habitation. Les explorateurs n’ont pas manqué depuis cent ans : ils n’ont rien trouvé.

Nous voici de nouveau à bord. Après sept heures d’une traversée un peu mouvementée, on arrive à la Martinique. Saint-Pierre est devant nous, s’allongeant en un arc de cercle, au pied des hauteurs que surmontent les Pitons. Et, tout de suite, au nombre des navires alignés dans la rade cependant foraine, à l’agitation qui se manifeste autour du paquebot et sur les quais, on a l’impression d’une activité plus grande, d’une vie plus intense qu’à la Guadeloupe. L’explique qui voudra ou qui pourra ; c’est ainsi. Les hommes et les femmes vont d’une autre allure, plus énergique, plus décidée, la parole est plus vive, et les conversations prennent aisément le tour de disputes, si ce n’est d’altercations. Il en a toujours été ainsi.

Beaucoup de maisons de pierre aux balcons en fer forgé, aux