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Il avait pourtant de l’honnêteté, du courage, du bon sens ; souvent même, il lui venait des reparties heureuses et qui faisaient penser à son père. Il était sensible et droit. On l’avait, à sa naissance, appelé le Juste, parce qu’il était né sous le signe de la Balance. Il eût mérité ce nom s’il eût été laissé à lui-même et si l’on n’eût emmailloté sa nature volontaire dans les langes d’une enfance prolongée et dans les lisières d’une domestication avilissante. Il était bègue, et ce défaut physique rendait sensible à ceux qui l’entendaient le manque d’équilibre d’une organisation à la fois lente et violente, et les saccades d’une énergie alternativement contrainte et désordonnée.

Louis XIII, donc, se leva et parla brièvement. Le petit discours qu’il avait appris par cœur ne contenait qu’un salut aux députés réunis devant lui, une protestation d’amour pour le peuple et un ordre de s’en remettre à ce qui allait être dit par le chancelier.

Le chancelier Brûlart de Sillery, personnage maigre et de longue barbe, perdu dans les fourrures et le velours cramoisi de son costume d’apparat, se leva, salua le roi, se rassit sur une chaise basse et prononça, à mi-voix, un long discours qui fut, pour l’assemblée, à la fois une fatigue et une déception. Ce Sillery était pourtant un habile homme ; mais il ne visait pas au talent oratoire. Vieux routier de la politique, il personnifiait le gouvernement de la régence fait d’adresse, de faiblesse et de procrastination ; et ce n’était pas le moindre intérêt de cette séance solennelle que de voir un roi entant encore, quoique réputé majeur, représenté par la caducité savante et souple de ce vieillard aux paroles éteintes. La circonspection, qui avait conduit Sillery aux affaires et qui l’y avait maintenu, avait fini par lui assurer une sorte d’autorité. On pardonne beaucoup aux habiles, parce qu’ils durent. Sillery, créature de Villeroy, puis son rival, avait été ambassadeur à Rome, et sa dissimulation naturelle avait reçu, dans cette cour, un suprême vernis. C’était lui qui avait obtenu du pape la nullité du premier mariage d’Henri IV ; Marie de Médicis indirectement lui devait un trône. D’ailleurs, il lui plaisait parce que, dans les conseils, il trouvait toujours de bonnes raisons pour justifier les mesures pusillanimes. Affable et très doux dans la conversation, corrupteur plus encore que corrompu, n’ayant d’autre dessein que de gagner du temps pour rester aux affaires et de rester aux affaires pour gagner du temps, il était le type de ces hommes publics qui ont ce qu’il faut de prudence et de capacité pour se maintenir au pouvoir, mais non ce qu’il faut de courage pour y accomplir de grandes choses. La peur avait été