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fut d’ailleurs le père du grand Condé, et c’est le seul service réel qu’il ait rendu à la France.

Derrière Condé se trouvaient Vendôme, frère naturel du roi, toujours prêt à revendiquer, du fond de la Bretagne, les prétentions de sa bâtardise comblée et inassouvie ; Nevers, vieux catholique, alternativement mécontent et fidèle, homme d’esprit, mais imaginatif et s’exagérant autant ses services que ses disgrâces, un imbécile titré, Conti, un ennemi personnel de Concini, Longueville, et toute une bande de gentilshommes jeunes, ardens et non inscrits sur le rôle des pensions. On comptait aussi sur l’appui plus onéreux et plus marchandé du parti protestant, que les tendances papistes du gouvernement de la régente effrayaient et qui négligeait les conseils prudens des Lesdiguières et des Duplessis-Mornay, pour suivre ceux des Bouillon, des Sully, et des Rohan. Enfin on s’appuyait sur les « politiques, » c’est-à-dire sur cette partie instruite et raisonneuse de la bourgeoisie française qui se plaît à diminuer, en temps de calme, un gouvernement près duquel elle se réfugie en temps d’orage. En 1615, ce parti, — plumes et becs affilés, — avait de quoi exercer son esprit critique. Il détestait les Italiens qui gouvernaient la reine mère ; il voulait mal de mort à celle-ci de la confiance qu’elle accordait aux jésuites et notamment au père Cotton ; fidèle à ses traditions, il se prononçait énergiquement contre la politique papiste et espagnole. Cependant, tout en suivant Condé, il était loin de se donner à lui. Décapité par la mort d’Henri IV, il cherchait un chef, et, n’en trouvant pas, il se butait à une sorte de bouderie aigre, où les ambitieux croyaient démêler l’approbation de leur conduite.

Avant les élections, Condé comptait beaucoup sur la réunion des États-Généraux. L’erreur des partis est de croire que l’histoire reprend les mêmes voies : ils échouent souvent pour ne pas savoir modifier la tactique qui a réussi à leurs prédécesseurs. Les yeux fixés sur les événemens qui avaient précédé la Ligue, le prince du sang espérait, comme les Guises l’avaient fait à Blois, développer dans le sens de ses intérêts le mécontentement qui couvait dans la nation. « Mon parti sera puissant et nombreux dans l’assemblée des États-Généraux, disait-il à Rohan. Les grands du royaume unis avec moi pourront contraindre la régente à changer de conduite. Il sera facile de borner son autorité et de faire des changemens considérables dans l’administration des affaires. Si la reine s’obstine à refuser ce que nous lui demandons, nous aurons un prétexte plus spécieux de prendre les armes. On ne manque jamais de mécontens en France. Il y a bon nombre de gentilshommes et de soldats prêts à se déclarer. » Il ajoutait que, si les États lui prêtaient la main, il en profiterait pour modifier le conseil du roi et