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en voyant une si importante compagnie, que les trois ordres étaient assemblés.

Il parla trois heures durant, et avec une richesse et une variété d’argumens, avec une pompe de style et un luxe débordant de métaphores qui faisaient honneur à son imagination et à sa mémoire, plus encore qu’à son goût et à son jugement, il soutint et développa la thèse qu’il avait exposée l’avant-veille, devant la chambre de la noblesse. Il s’efforça de toucher les cœurs par le souvenir des discordes civiles qu’on cherchait à réveiller : « Jetons les yeux sur les misères des troubles passés et gardons-nous d’y retomber, » s’écria-t-il. Il sentait combien son nom, son passé, les services rendus par lui avaient de poids : il les jeta dans la balance : « J’ai toujours suivi la fortune du roi défunt aux guerres civiles ; j’ai défendu avec courage et avec constance ses droits hors le royaume. Il est aisé de louer les Athéniens à Athènes où personne n’oserait contredire ; mais j’ai exalté le roi à Rome en face des ambassadeurs d’Espagne, en traitant sa réconciliation avec le saint-siège. J’ai servi le roi défunt au traité avec les Vénitiens pour les réconcilier avec le pape, où j’ai soutenu et défendu de toutes mes forces l’autorité du roi. Assurément ce n’est pas nous, ecclésiastiques, qui voudrions, en façon quelconque, diminuer la dignité temporelle des rois, et je suis, moi en particulier, hors de tout soupçon. » Et il répéta et il jura que lui et ses collègues étaient disposés à subir le martyre plutôt que de prêter « ce serment d’Angleterre » qui les séparerait de l’Église et que le pape n’accepterait jamais ; et il conclut en demandant que l’article fût ôté du cahier du tiers et que, pour la doctrine de l’Église sur la question de l’autorité des deux pouvoirs, on s’en remît au clergé, qui ferait en sorte que tous les Français restassent unis dans une même ardeur pour le service, le salut, et la vie du roi.

Le tiers-état avait ressenti vivement l’honneur que lui faisait Duperron en venant, dans cette circonstance solennelle, plaider lui-même la cause de son ordre. Aussi le président Miron exprima les sentimens de ses collègues, en remerciant le cardinal et en lui déclarant le grand effet produit par sa présence et par son discours. Mais il fut aussi l’interprète des pensées de la grande majorité du tiers, en déclarant que son intention était de laisser l’article dans le cahier. Pourtant, à titre de concession, il s’offrit à faire des modifications de forme. Il poussa même l’esprit de conciliation jusqu’à déclarer, avec une ironie grave, que si le clergé voulait prendre la peine de rédiger un article ayant le même objet et la même portée, le tiers serait heureux de l’examiner et de l’accepter, s’il était possible. Le clergé se jeta sur cette déclaration