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LA CHIMIE DANS L’ANTIQUITÉ.

prennent un vaste domaine, dans l’ordre des connaissances humaines ; mais Geber vivait à une époque de décadence et sa force d’esprit ne répond pas à l’étendue des sciences qu’il a essayé d’embrasser. On en jugera tout à l’heure, quand j’analyserai quelques-unes de ses œuvres authentiques : je parle des œuvres arabes, bien entendu, les écrits latins qui portent son nom étant apocryphes.

Mais poursuivons l’histoire des chimistes arabes. Après Geber, on cite Dz’oun-Noun-El-Misri ; Maslema, astronome et magicien espagnol, mort en 1007 ; Er-Râzi, autrement dit Rasès, célèbre médecin auquel on attribue divers traités traduits en latin ; Ishaq-ben-Noçair, habile dans la fabrication des émaux ; Toghrayi, mort en 1122 ; Amyal-et-Temîmi et divers autres ; El-Farabi ; enfin au xiie siècle, Ibn-Sina, notre Avicenne, médecin, alchimiste et personnage politique.

Nous possédons sous son nom une alchimie latine qui porte les caractères d’une œuvre traduite de l’arabe et dont les exposés et les doctrines, conformes à ceux de Vincent de Beauvais et d’Albert le Grand, autorisent à admettre l’authenticité : je veux dire que c’est un livre arabe, car on ne saurait affirmer qu’il a été écrit par Avicenne lui-même, le texte arabe étant perdu et le texte latin portant les traces de fortes interpolations, d’origine espagnole principalement. J’en extrairai seulement les lignes suivantes, qui montrent à quel degré la science avait développé, dès lors, chez ses partisans, la tolérance et le scepticisme. « Jacob, le Juif, homme d’un esprit pénétrant, m’a enseigné beaucoup de choses, et je vais te répéter ce qu’il m’a enseigné. Si tu veux être un philosophe de la nature, à quelque loi (religion) que tu appartiennes, écoute l’homme instruit, à quelque loi qu’il appartienne lui-même, parce que la loi du philosophe dit : Ne tue pas, ne vole pas, ne commets pas de fornication, fais aux autres ce que tu fais pour toi-même. » Il y a là l’affirmation de la communauté de sentimens entre les adeptes de la science d’alors, quelle que fût leur confession religieuse, communauté exceptionnelle aux xiie et xiiie siècles. Il y a même l’affirmation d’une morale purement philosophique, ce qui était une hérésie et une impiété, pour les musulmans aussi bien que pour les chrétiens.

Quoi qu’il en soit, vers cette époque s’engagea une première polémique sur la réalité de la transmutation des métaux, que les alchimistes grecs n’avaient jamais pensé à mettre en doute. Ibn-Teimiya, Yakoub-el-Kindi et Ibn-Sina la contestent ; tandis qu’Er-Râzi et Toghrayi en maintiennent l’existence. Ibn-Khaldoun, en rapportant cette polémique, ajoute malignement qu’Ibn-Sina, qui