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prolongerait même après qu’ils ont disparu de la scène du monde ?

À Besançon, l’esprit et la guenille trouvent à se satisfaire ; on vient d’installer un bel établissement de bains salins, et, à ses côtés, un hôtel confortable destiné aux baigneurs et aux voyageurs de tout ordre, car le coucher laissait grandement à désirer, bien que la ville eût, depuis tantôt 220 ans, quitté ses cloches espagnoles pour s’habiller à la française ; du moins, le manger y est excellent ; double motif pour établir là son quartier-général et s’élancer dans toutes les directions. Faut-il l’avouer : notre pays n’a point le sens du confortable et ferait bien de demander des leçons aux Suisses, passés maîtres dans l’art d’attirer, retenir le voyageur, et aussi de plumer la poule sans trop la faire crier.

Dans le pays de Gray, qui fait partie de la basse Franche-Comté, la Saône est reine, presque tout se rapporte à elle ou vient d’elle, beautés de la nature, industrie, agriculture : calme et gracieuse, la noble voyageuse s’avance à travers les campagnes, découvrant les diamans de son écrin, les châteaux d’Apremont, Vellexon, Ray, qui complètent sa parure. À la montagne de la Motte de Vesoul se rattache une légende qui, s’il fallait y croire, donnerait à penser que le mariage dès cette époque était une institution bien fatiguée et fatigante : on récoltait d’excellent vin sur cette colline, et surtout dans une grande et belle vigne que le sire comte de Faucogney avait promis de donner aux gens qui, après un an de vie commune, ne se seraient jamais repentis de s’être mariés, personne n’avait pu l’obtenir, et de là ce dicton, lorsqu’un ménage se brouillait : encore un qui n’aura pas la vigne de la Motte ! Depuis Vesoul, en montant vers Luxeuil, nous entrons dans la région des coteaux : des bois et encore des bois, quelques jolis villages, Colombier, Saulx, Servigney, Genevrey, la rivière du Durgeon, semblent posés le long de la route pour la joie des yeux : trois kilomètres plus loin que Servigney, en Chaudron, apparaît brusquement la plaine de Luxeuil avec ses trente villages, des forêts répandues tout au travers comme des îles dans un fleuve ; au fond, sur la droite, les montagnes de Melisey, Faucogney, le Ballon d’Alsace ; sur la gauche, la vallée de Fougerolles, célèbre par son kirsch : parcourir cette vallée au mois de mai, lorsque les cerisiers sont en fleurs, est quelque chose d’exquis, on croit marcher dans un massif de fleurs géantes pendant quinze kilomètres.

Luxeuil ! la perle de la Comté, la ville des moines et des saints abbés, l’ancienne métropole monastique de la Gaule sous les Mérovingiens, vassale des césars allemands jusqu’au XVIe siècle. Quelques maisons y conservent comme un relent du moyen âge, celle du cardinal Jouffroy, avec cette tourelle festonnée en saillie sur l’angle