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pittoresque aussi, car certains de ces lazzarones de Gavarni ou d’Argelès ont vingt manières de vous attendrir, par exemple quand ils suivent votre voiture pendant cinquante mètres en faisant la roue ; et il est difficile de résister au salut des petites filles de la vallée de Campan. Les nôtres se contentent de psalmodier quelque chanson, comme celle-ci, que j’ai entendu redire maintes fois par nos bergères et lavandières.


Quand j’étais chez mon père, petite Jeanneton,
On m’envoyait à l’herbe, à l’herbe et au cresson,
Verduron, verdurette,
Verduron, don ! don !

La fontaine était creuse et j’ai tombé au fond ;
Sur le grand chemin passent trois chevaliers-barons…

— Que donn’rez-vous, la belle, si nous vous retirons ?
— Retirez-moi d’abord, après ça nous verrons !..

Quand dehors fut la belle, s’enfuit à la maison,
Se met à sa fenêtre et chante une chanson…

— Ce n’est point ça, la belle, que nous vous demandons,
C’est votre petit cœur, si nous le méritons…

— Mon petit cœur, messieurs, n’est point pour un baron,
Mais pour mon ami Pierre, Pierre qu’est mon mignon !
Verduron, verdurette,
Verduron, don ! don !


Le lion de Belfort, le vieux château et la statue de Cuvier à Montbéliard, les ruines de Mandeure qui fut une grande ville romaine avec un théâtre pouvant contenir 12,000 spectateurs, celles de Montfaucon, Baume-les-Dames où florissait un couvent de chanoinesses nobles remontant à la nuit des temps, les châteaux du Grand-Vaire, de Roulans, les sources du Cuisancin, les bains de Guillon, la glacière de la Grâce-Dieu, autant d’étapes de notre voyage. J’ai vu la glacière il y a plus de vingt ans, elle m’est restée présente à l’esprit comme au lendemain de l’excursion : un site sauvage perdu dans une forêt profonde, cadre tout trouvé pour ces légendes qui représentent le chasseur maudit égaré, frissonnant de rêveries infernales et jurant à son réveil d’abandonner le monde, de fonder un monastère ; l’antique abbaye cistercienne restaurée par les trappistes, de rudes défricheurs, eux aussi, qui ont fait sortir la richesse du néant, créé fermes, moulins, scieries ; les réflexions de mes compagnons en présence de ces hommes qui peut-être ont découvert le grand secret du bonheur ; l’ascension à la glacière par une côte fort raide, les horribles auberges qui