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eux-mêmes des procédés, des instrumens avec lesquels ils façonnent la corne, l’ivoire, le buis qui arrive des Pyrénées-Orientales sous forme d’ébauchons de la grosseur du poing : leur esprit est toujours en éveil, comme leurs mains et leurs pieds sont toujours en mouvement.

Avant 1863, la grosse horlogerie d’appartement, dite de Comté, enrichissait Morez, ville de 5,000 habitans, presque moderne, qui doit à l’industrie seule sa fondation, son développement ; mais la durée de ces horloges qui marchent plus d’un siècle, leur volume qui rend l’exportation difficile, l’extension prise par la fabrication des pendules à ressort, font diminuer la vente d’année en année. L’horlogerie à ressort, l’horlogerie de clocher la remplacent, de sorte que l’on peut répéter la comparaison poétique de Lamartine : « Ces habitans du Jura ressemblent aux Muezzins des cités de l’Orient, qui se tiennent sur les hauteurs de l’atmosphère, au sommet des minarets, pour chanter l’heure et pour avertir les hommes d’en bas de la fuite inaperçue du temps qui glisse entre les mains de l’homme comme l’eau. » Beaucoup de fabricans se rejettent vers la lunetterie (pince-nez, bésicles) : la lunette à nez chinois appelle l’usine et quatre ou cinq maisons seulement, en relations avec l’Angleterre et l’Amérique, s’occupent en grand de cet article : la forme du nez varie, paraît-il, de peuple à peuple ; chacun a sa case spéciale chez le fabricant. Peu de changemens pour les lunettes dite à nez K. Ici pas d’usines, le travail se fait chez l’ouvrier lui-même, par passe (soudage, ébauchage, polissage, trempage, finissage, bronzage ou nickelage, rhabillage), il vit dans sa famille, se fait aider de sa femme, de ses enfans qui tout jeunes apprennent à manier la lime ; le plus souvent il habite à deux, trois, même dix ou douze kilomètres du ou des patrons ; car il travaille en général pour plusieurs[1]. Le patron ne voit le travail qu’après chaque passe ; l’ouvrier soudeur lui apporte son travail qui est envoyé à l’ouvrier ébaucheur, celui-ci rapporte la lunette ébauchée que vient prendre la polisseuse, et ainsi de suite. Notre

  1. L’horlogerie de Morez, horloges à poids, boites à sapin verni, pendules à ressort, montres, horloges de clocher, tournebroches, miroirs à alouettes, représentait, en 1883, une valeur de 2,608,000 francs ; lunetterie, 3 millions ; mesures linéaires, 200,000 francs ; clouterie forgée, pointes de toupies, 250,000 francs ; plaques émaillées, 150,000 francs ; orfèvrerie, 400,000 francs ; commerce de bois sciés, 800,000 francs ; boissellerie de Bois-d’Amont, 800,000 francs ; fromageries du canton, au nombre de quarante-sept, 400,000 francs ; production agricole du canton, 500,000 francs. Il n’existe pas encore, à Saint-Claude, de musée industriel où se trouveraient, siècle par siècle, classés tous les articles de Saint-Claude fabriqués dans cette région, avec les articles similaires d’Angleterre et d’Allemagne, et des échantillons de toutes les pierres unes ou fausses qu’on y taille.