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fait rougir. — On rougit aussi de pudeur : une parole indécente nous lait rougir comme un éloge ; sans doute, pour beaucoup d’hommes, cette loi n’est plus vraie ; mais c’est que l’habitude a émoussé leur sensibilité ; la loi n’en est pas moins naturelle. Il n’est pas de jeune fille ou d’adolescent qui ne rougisse à une allusion grivoise. La pudeur produit ainsi le même effet que la modestie. Bossuet, dans le sermon sur l’honneur, remarque cette analogie : « La pudeur et la modestie, dit-il, ne s’opposent pas seulement aux actions déshonnêtes, mais encore à la vaine gloire et à l’amour désordonné des louanges. Une personne honnête et bien élevée rougit d’une parole immodeste ; un homme sage et modéré rougit de ses propres louanges. En l’une et l’autre rencontre, la modestie fait baisser les yeux et monter la rougeur au front[1]. »

On rougit encore par timidité, c’est-à-dire par crainte du jugement d’autrui : toutes les fois que nous avons à parler devant plusieurs personnes, nous risquons de rougir. Il y a des écoliers qui rougissent chaque fois qu’on les interroge, des jeunes filles chaque fois qu’on leur parle. L’idée de se présenter dans un salon, dans un cercle, même dans un groupe de camarades, suffit à faire rougir beaucoup d’adolescens. Les jeunes femmes et tous les timides rougissent en rencontrant soudain dans la rue une figure connue. Quand nous entendons qu’on parle de nous, ou simplement quand nous pensons qu’on pourrait parler de nous, nous rougissons. La raillerie est un moyen presque infaillible de faire rougir les enfans et même les hommes.

Enfin on rougit de confusion. Je classe sous cette étiquette tous les cas où nous sommes pris en quelque flagrant délit. — D’abord si l’on est pris en flagrant délit d’un acte ridicule ou bas, par exemple d’un mensonge, d’une calomnie, on rougit. À tout âge un hypocrite qui se sent démasqué rougit ; de même un homme rencontré dans un lieu où il ne voulait pas être vu ; de même aussi un homme surpris dans un costume trop négligé. — Ce qui est plus bizarre, on rougit quand on est pris en flagrant délit de bonnes œuvres ; on est confus du bien qu’on fait comme du mal, quand on croyait le faire secrètement ; rien ne ressemble à un voleur comme un bienfaiteur discret surpris chez ses protégés. — On rougit même d’une action insignifiante, d’un rien, quand on est pris brusquement sur le fait : par exemple, on se croyait seul chez soi ; on lisait ou on songeait ; tout à coup on s’aperçoit qu’on n’était pas seul : on rougit. — Toutes les fois qu’on nous dit quelque vérité plus ou moins désagréable, l’effet est le même : par exemple, si

  1. Bossuet, Sermon sur l’honneur, 3e point.