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ceux qui l’entouraient étaient anéantis ; elle seule resta imperturbable et chercha à donner du courage à tous les siens par sa fermeté et même par ses plaisanteries, au nombre desquelles on cite ce mot, qu’en riant elle dit sur la fatale charrette, à propos de la chemise rouge dont on l’avait affublée, elle et ses prétendus complices : «… Ne dirait-on pas que nous faisons une promenade de mardi-gras ? »


Ce mot ne justifie-t-il pas ce que Thiébault dit un peu plus loin de cette Révolution « qui nous est arrivée au milieu d’une contredanse » et qui fut « un si brusque passage du plaisir à la mort ? »

Voici en quels termes il nous en raconte les premières scènes au moment même de la prise de la Bastille :


Le 13 juillet, à la pointe du jour, toutes les troupes qui avaient occupé la place Louis XV pendant la nuit avaient disparu. Quant à Paris, le désordre y était à son comble ; le tocsin sonnait dans toutes les paroisses, le feu avait été mis aux barrières et, de tous côtés, on cherchait des armes ; l’Arsenal avait été pillé, tous les armuriers également, et, comme on savait qu’une salle d’armes se trouvait au Garde-Meuble, on annonça de fort bonne heure que le peuple allait s’y porter en masse pour enlever les armes qui pouvaient lui être utiles.

Vers midi, le Garde-Meuble fut envahi. Des milliers d’hommes s’y succédèrent ; ils ne se bornèrent pas à visiter la salle d’armes et les autres salles, galeries, magasins et greniers ; ils pénétrèrent dans les appartemens de toutes les personnes logées au Garde-Meuble, fouillèrent jusque dans les lits, les armoires, et cela avec plus de zèle que d’ordre. Cependant, à l’exception des armes qui pouvaient servir, rien ne fut pris non-seulement de ce qui était propriété particulière, mais aussi de ce qui appartenait au roi. Au reste, ce fait assez remarquable fut peut-être dû à deux causes : la première, à ce qu’on fit rester, en les payant, quelques-uns des hommes entrés des premiers et qui, en affirmant que toutes les armes avaient été emportées, devinrent des espèces de sauvegardes ; la seconde, à ce que plusieurs personnes qui se mêlèrent au peuple pour le contenir, autant que cela était possible, ne cessèrent de répéter : « Tout ce qui est ici est à la nation. » Par malheur, cette conduite ne fut pas imitée partout ; il est vrai que partout on ne prit pas des mesures aussi sages, partout on ne pouvait pas dire que tout appartenait à la nation ; plusieurs maisons furent pillées, et, pendant quelques heures, l’anarchie accomplit son œuvre détestable.

Nous ne rentrâmes chez nous que le 14 au matin. À peine ma famille fut-elle réinstallée au Garde-Meuble, que, cédant à une impulsion irrésistible, je partis pour courir Paris et par moi-même juger de