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ce qui se passait. Il fallait une cocarde, on en vendait déjà à tous les coins de rue ; ces premières cocardes étaient fabriquées en ruban de soie ; de suite mon chapeau en fut orné. Mon but étant de me rendre au Palais-Royal, je suivis la rue Saint-Honoré ; arrivé en face de la place Vendôme, je vis en avant de la porte du couvent des Feuillans 500 hommes réunis, ayant un tambour à leur tête et prêts à se mettre en mouvement. Ayant aperçu parmi eux Clappier, que j’ai déjà eu l’occasion de nommer, je lui demandai où ils allaient : « Il faut des canons aux sections ; et nous allons en prendre aux Invalides, » me répondit-il, et comme je le fixais avec une apparente préoccupation, il ajouta avec véhémence : « Et pourquoi ne vous joindriez-vous pas à nous ? .. » Je répliquai : « Je suis des vôtres. » Cependant, pour pouvoir être armé et faire partie d’une troupe armée, il fallait être inscrit : je remplis cette formalité, je reçus un fusil, quelques balles, de la poudre ; je pris dans le détachement la place que ma taille m’assignait, et nous partîmes.

Notre troupe n’avait de militaire que son courage, de discipline que son zèle, de force que celle de cinq cents fois un homme, ce qui est fort différent de la force que 500 hommes peuvent avoir ; aussi cheminions-nous plus que nous ne marchions ; aussi, pendant que le tambour qui était en tête ne servait qu’à prouver que personne n’allait au pas, discutions-nous tout haut la question de savoir si M. de Sombreuil, gouverneur des Invalides, défendrait ses pièces et les armes qui se trouvaient dans l’hôtel. Rien n’était moins probable. Déjà les Petits-Suisses avaient refusé de marcher contre les gardes françaises, dont l’insurrection était consommée ; les régimens campés au Champ de Mars n’avaient pas obéi la veille à l’ordre de charger leurs armes, et, pour les contenir, on tenait fermées les grilles du Champ de Mars. Or les malheureux débris de nos armées, nommés les Invalides, n’appartenant plus qu’à leurs infirmités et créanciers de l’État plus qu’ils ne continuaient à en être les soldats, devaient bien moins encore répondre aux sentimens hostiles de leur gouverneur que les autres troupes à ceux de leurs chefs. Le fait justifia ces prévisions : ce fut sans résistance que les armes et les canons furent enlevés et que, pour notre part, nous nous emparâmes d’une magnifique pièce de 24, connue sous le nom du grand Dauphin ; puis de deux pièces de 12. À défaut de chevaux, nous nous attelâmes à ces trois pièces, qui étaient sur roues, et, fiers de notre lot (nous ne pouvions pas dire de notre conquête), nous les ramenâmes en triomphe aux Feuillans, dont elles ornèrent la cour, jusqu’au jour où on les remplaça par des pièces de 4-Cent vingt pièces de ce calibre furent en effet réparties entre les soixante bataillons de la garde nationale de Paris ; comme ces bataillons venaient de recevoir des fusils de munition de la manufacture de