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L’enterrement eut lieu. Jamais funérailles ne furent plus imposantes. Paris entier était sur pied, et si tous ses habitans ne suivirent pas le convoi de l’immense orateur, c’est que pour le voir il ne fallait pas en faire partie ; encore une foule de personnes, après l’avoir vu passer, se réunirent-elles à cette longue et interminable colonne mortuaire ; l’Assemblée constituante en masse, toutes les autorités, tous les fonctionnaires, les sociétés populaires, des personnages de la cour, la garde nationale et des milliers de citoyens, tous marchaient confondus dans une même désolation, car tous avaient espéré en cet homme immense, pour qui le Panthéon parut être la seule sépulture dont il fût digne.


À l’agitation intérieure s’ajoutait la guerre avec l’étranger, qui allait encore accroître la puissance de la Révolution.

Aussitôt après l’ouverture des hostilités, les armées françaises avaient subi des échecs sur plusieurs points, tandis qu’à Paris, dans la matinée du 10 août, quelques femmes, à l’exemple de Théroigne de Méricourt, connue du peuple sous le nom de la Belle Liégeoise, de la Belle Étrangère, depuis ses exploits du 14 juillet à la Bastille, présidaient aux égorgemens des gardes nationaux arrêtés aux Feuillans et entraînés sur la place Vendôme.


Depuis le 14 juillet 1789, jamais la générale n’avait été battue à Paris sans que j’eusse pris les armes. Quoique j’eusse quitté la section des Feuillans depuis 1790, j’avais continué à faire partie de la compagnie de grenadiers, un peu mon ouvrage, et composée d’un grand nombre de mes amis. J’y faisais donc exactement mon service, que je payais outre cela à la section sur laquelle je logeais ; Vigearde, depuis que nous vivions ensemble, avait à cet égard suivi mon exemple.

Une heure sonnait, dans la nuit du 10 août, lorsque les tambours de la section des Menus-Plaisirs, battant la générale, me réveillèrent. Ce quartier était un des plus tranquilles de Paris ; le signal ne pouvait manquer d’annoncer une alarme sérieuse ; dès lors les tambours que j’entendais ne pouvaient être que les échos de ceux de toutes les autres sections de la capitale, et d’autant plus certainement de ceux des Feuillans que cette section était à la fois celle du château et de l’assemblée ; d’ailleurs, quand j’aurais pu conserver quelques doutes, le tocsin qui sonnait de tous côtés aurait suffi pour les lever. Je me jetai donc à bas du lit et je m’habillai, mais avec le moins de bruit possible, afin que Vigearde ne m’entendît pas.

En arrivant aux Feuillans, nous trouvâmes en séance la section qui, depuis le 11 juillet, jour auquel la patrie avait été déclarée en danger, était en permanence. Presque tous ceux qui composaient le bataillon