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allié ? M. Vandal a pensé que l’alliance anglaise n’avait, à cette époque, rien d’incompatible avec l’alliance russe. Tout le monde sait que la diplomatie fait des miracles ; mais il faut avouer qu’un tel problème était particulièrement difficile à résoudre. Les événemens se précipitaient en Angleterre : en juin 1719, la flotte anglaise, commandée par l’amiral Norris, entrait dans la Baltique pour y protéger les intérêts suédois ; cinq mois plus tard, le discours du trône annonçait au parlement que la Grande-Bretagne avait pu secourir à temps un État protestant (la Suède) et que la couronne britannique ne tolérerait pas à l’avenir les procédés de certains États (il s’agissait de la Russie), où l’on ne se faisait pas une juste idée de la puissance anglaise ; le 15 novembre 1720, le cabinet anglais proposait au résident russe Bestoujef-Rioumine de quitter l’Angleterre dans les huit jours, et les relations diplomatiques étaient rompues. Il est permis de supposer que Pierre le Grand prévoyait ces péripéties dès 1717 ; quand le régent eut jugé souhaitable d’embrasser tout le monde à la fois, on n’aperçoit pas comment il aurait pu s’y prendre.

Si le duc d’Orléans éprouvait certaines perplexités, l’abbé Dubois, qui avait négocié la convention de La Haye avec lord Stanhope avant l’arrivée du tsar, la regardait comme le dernier mot de la politique et, par conséquent, n’hésitait pas. Dans une lettre au régent, que M. Filon a publiée en 1860, il faisait observer que, si le tsar venait à mourir, « son fils ne soutiendrait rien, » et donnait d’ailleurs à entendre que la triple alliance suffirait à tout. Le régent que Dubois avait, comme on sait, « ensorcelé, » invita donc Châteauneuf à traîner les choses en longueur. Pierre proposa d’abord une alliance défensive entre les deux couronnes, qui se fussent garanti réciproquement leurs États, y compris les récentes conquêtes de la Russie sur la Suède ; puis, la France se refusant à cette garantie, il y renonça lui-même et se contenta de demander un subside de 25,000 écus par mois, tant que durerait la guerre du nord. Le soir même du jour où il faisait cette concession, il partit brusquement pour Paris, où sa présence devait exciter au plus haut point l’admiration des uns, la curiosité des autres et causer un émoi sans pareil. Par malheur, Louis XIV n’était plus là pour lui donner la réplique.

« Il avait, a dit Saint-Simon, une passion extrême de s’unir à la France, » et les recherches faites par l’érudition contemporaine dans nos archives témoignent que cette proposition n’a rien d’excessif. Pierre Ier renouvela tout d’abord les ouvertures faites à La Haye : « Mettez-moi, disait-il au maréchal de Tessé, désigné par le régent pour s’aboucher avec les ministres russes Tolstoï,