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de préparer à la fois un traité de commerce et un traité d’alliance, La nouvelle tsarine manœuvra, même sur le terrain commercial avec une tout autre circonspection qu’Anna Ivanowna. Les négociations qui précédèrent le nouveau traité de commerce furent pénibles, souvent orageuses, et traînèrent pendant quatre ans (1762-1766). Panine, qui dirigeait depuis le 27 octobre 1763 le collège des affaires étrangères, faisait pressentir une rupture. Le cabinet britannique n’était jamais content et, quand ses envoyés emportaient deux concessions, les désavouait pour n’en avoir pas obtenu quatre. Il ne pardonna pas, entre autres choses, à sir J. Macartney d’avoir toléré l’insertion d’une clause qui réservait à l’impératrice le droit de prendre des mesures spéciales pour le développement de la marine marchande russe, ainsi que l’Angleterre l’avait fait pour la sienne, en 1651, par son acte de navigation. L’exemple, paraît-il, était de ceux que les autres nations ne devaient pas suivre. La Grande-Bretagne eut alors l’incroyable prétention de lier les mains à la Russie en la forçant de garantir aux sujets anglais le droit de recueillir immédiatement tous les avantages des mesures que le gouvernement impérial pourrait décréter au profit de ses propres sujets. De là d’interminables tiraillemens. Tantôt Macartney profitait d’un bal masqué, pour tomber presque à genoux[1] devant l’impératrice, tantôt il se lamentait de vivre dans un pays qui n’était pas plus civilisé « que le royaume du Thibet, » et où il n’était pas possible de citer à un ministre, dans un bon moment, le moindre passage de Grotius ou de Puffendorf[2]. Enfin, à l’instant même où la sentence d’excommunication allait être lancée contre le commerce britannique[3], on s’accorda pour constater le droit réciproque des contractans de décréter toute espèce de lois et de mesures pour l’encouragement de leur propre navigation, au lieu de proclamer ce droit au profit exclusif de la Russie, et le traité fut signé pour vingt ans.

Mais on n’était pas pour cela plus près de s’entendre sur le terrain politique. Les plénipotentiaires russes, insistant pour que toute guerre entre la Russie et la Porte fût envisagée comme un casus fœderis, avaient essuyé tout d’abord un relus catégorique. Au commencement de l’année 1764, Catherine était tout entière au « système du Nord, » c’est-à-dire à la formation d’une ligue offensive et défensive entre les puissances septentrionales (c’est-à-dire entre la Prusse, le Danemark et la Russie)[4] pour le « maintien de la

  1. I almost went down upon my knees to her… (Dépêche du 16 novembre 1765.)
  2. Dépêche du 22 février 1766.
  3. De Martens, t. IX, p. 238.
  4. On ajoutait même sur le papier, mais sans conviction, la Suède et la Pologne.