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conforme, communiquée, le 13 février 1779, au résident du Danemark, et le 23 février, à l’envoyé suédois. L’impératrice y annonçait sa détermination de « faire croiser au printemps prochain, vers le Cap-Nord, une escadre de ses vaisseaux et frégates à qui il serait enjoint de protéger efficacement le commerce, en éloignant de ces parages tous corsaires, de quelque nation que ce fût sans exception, qui voudraient s’y présenter. » C’était substituer à la conception de la ligue maritime contre la tyrannie des mers, la formation d’une « espèce de chaîne de navires[1] » par laquelle les trois puissances du Nord protégeraient seulement leurs côtes respectives, au gré de leurs intérêts et, sans nul doute, selon les nécessités variables de leur politique : « C’est sûrement le ministre d’Angleterre qui a obtenu la déclaration russe, » dit Frédéric II à M. de Pons, notre ambassadeur à Berlin[2]. En effet, on éprouva la plus vive satisfaction à Londres ; Harris reçut immédiatement l’ordre du Bain. On fut, au contraire, fort mécontent à Stockholm et à Copenhague : « Votre déclaration, dit Corberon à Panine, est favorable aux Anglais et paraît s’éloigner du système juste et immuable des cours du Nord qui avaient le projet de faire mutuellement respecter partout leurs pavillons. » Seul peut-être, M. de Vergennes regarda ce succès de la politique anglaise comme moins décisif qu’on ne se le figurait dans toute l’Europe[3] et l’événement prouvera qu’il ne se trompait pas.

D’abord, les Anglais se figurèrent trop vite qu’ils tenaient décidément l’impératrice et que tout leur était permis. Quand le commerce russe était directement attaqué, Catherine reprenait possession d’elle-même et se comportait comme si le sang de Pierre le Grand eût coulé dans ses veines. Or, dès le mois de mars 1779, elle eut à protester contre la prise d’un bâtiment parti de Viborg ; quelques mois plus tard, c’est un navire de Riga que les Anglais capturaient illégalement. Panine invoquait le traité de 1766 et le droit des gens qui traçaient aux corsaires anglais un certain nombre de devoirs « tant à l’égard des bâtimens russes qu’à l’égard des bâtimens neutres chargés de propriétés russes. » Le gouvernement britannique répondait par de belles promesses qui n’étaient pas suivies d’effet. Catherine II s’en plaignit elle-même à l’ambassadeur : « Vous molestez mon commerce, lui disait-elle ; vous arrêtez mes vaisseaux ; j’attache à cela un intérêt particulier ; c’est mon enfant que mon commerce, et vous ne voulez pas que je me fâche ! » Au même instant, Vergennes se conciliait à la fois les bonnes grâces de l’impératrice et celles de

  1. C’est l’expression même qu’on employait dans la communication officielle faite au Danemark et à la Suède.
  2. Pons à Vergennes, 17 avril 1779.
  3. Dépêche du 20 avril 1779 à Montmorin, notre ambassadeur à Madrid.