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définitivement, en effet, l’idée de la déclaration qui devait immortaliser le nom de Catherine : « La seule mesure, avait-il dit, qui me semble conforme à la grandeur et à la gloire de l’impératrice, et d’accord avec la situation actuelle des affaires, serait la proclamation par sa majesté impériale d’une déclaration ferme et bien fondée à l’adresse des cours de Versailles et de Madrid, que l’on appuierait par l’envoi immédiat d’une puissante flotte. Cette déclaration rétablirait l’équilibre dans la guerre, etc. » Le diplomate anglais se retira, fort content de lui-même et se flattant d’avoir enflammé l’imagination de l’impératrice. Catherine paraît avoir pris quelque plaisir à l’entretenir dans cette illusion : a Je ne fais que rêver à vos affaires, lui disait-elle… Ma tête fermente… Vous me donnez des insomnies… » En effet, elle s’était approprié l’idée que Harris lui avait soumise, mais pour la retourner contre le gouvernement qu’il représentait. Sans perdre de temps, elle consulta séparément chacun de ses ministres, et trouva Panine converti. Elle réunit aussitôt son conseil, où l’on se prononça par un vote unanime contre une intervention quelconque en faveur de la politique anglaise[1].

C’est alors que Harris appela George III lui-même à la rescousse, lui conseillant de s’adressant directement à l’impératrice. Le roi, docile à ce conseil, écrivit le 5 novembre 1779 une lettre autographe à Catherine, pour solliciter son intervention armée contre la France et contre l’Espagne, alliée de la France : il tâchait de lui prouver, non sans avoir exalté « la grandeur de ses talens, la noblesse de ses sentimens et l’étendue de ses lumières, » qu’une simple démonstration de la flotte russe suffirait pour rétablir et assurer le repos de toute l’Europe. Mais le prince Potemkin, sondé par Harris, ne lui cacha pas que la crainte d’embarrasser la Russie dans une nouvelle guerre l’emportait en ce moment, dans le cœur de l’impératrice, sur l’amour de la gloire, et lui conseilla de s’adresser directement au chancelier. Harris tenta donc un suprême effort et remit à Panine une note datée du 26 novembre, par laquelle il réclamait expressément « l’intervention armée » pour mettre fin à la guerre, offrant en retour une alliance sans restriction, « même contre la Porte. » Mais le parti du ministre n’était pas, à cette date, moins bien arrêté que celui de sa souveraine. Il rédigea donc un projet de réponse très catégorique : l’impératrice y déclarait que les mesures proposées par la Grande-Bretagne pour le rétablissement de la paix devaient produire un effet entièrement contraire et que le moment était mal choisi pour la conclusion d’une alliance, la guerre dans laquelle l’Angleterre était engagée

  1. Corberon à Vergennes, 5 octobre 1779.