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parfois plus volontiers à nos ennemis qu’à nos amis, il était bien connu du moins de tous ceux qui aiment et fréquentent l’Italie. Beaucoup de Français, sans doute, ont quelque motif de conserver de lui un souvenir affectueux et reconnaissant. Nous serions heureux si quelques-uns d’entre eux, en relisant ces pages, y retrouvaient l’expression de leurs sentimens.


I

Ubaldino Peruzzi naquit à Florence le 2 avril 1822. Sa famille était depuis longtemps illustre. Dans le XVIe chant du Paradis, Dante énumère les familles florentines de la vieille roche, et les oppose dédaigneusement aux intrus qui ont altéré la pureté du sang florentin ; parmi ceux qui trouvent grâce devant lui figurent les Peruzzi. Ils sont au premier rang de ces grands banquiers toscans qui eurent, au XIVe siècle, presque le monopole du commerce de l’argent, et furent les auxiliaires indispensables de la politique des papes, des Angevins, des Capétiens, des Plantagenets. Leurs opérations grandioses aboutirent à un désastre. Quand éclata la guerre de cent ans, le roi d’Angleterre Édouard III leur devait 135,000 marcs (28 millions de notre monnaie) ; il allégua ses embarras politiques pour refuser de payer sa dette, et la maison Peruzzi fit une faillite colossale, entraînant dans sa chute beaucoup de négocians et de banquiers florentins. Ce fut un coup terrible dont la place de Florence eut peine à se relever. Les Peruzzi continuèrent pourtant à figurer dans l’histoire, mais seulement comme adversaires impuissans des intrigues des Médicis. Ils durent se résigner à voir ces nouveaux-venus jouer le rôle auquel jadis ils auraient pu prétendre. Ils leur avaient d’ailleurs donné l’exemple d’un noble emploi de l’opulence ; et leur chapelle de famille, dans l’église Sainte-Croix de Florence, avec les admirables fresques de Giotto qui la décorent, suffirait à rendre le nom des Peruzzi presque aussi célèbre dans l’histoire de l’art que dans l’histoire politique.

Ces souvenirs ne furent pas sans influence sur Ubaldino Peruzzi. Dès le collège il se passionnait pour l’histoire de sa famille. Quarante ans plus tard, à Londres, dans un banquet que lui offrait le lord-maire, il déclarait plaisamment n’être pas venu en Angleterre pour réclamer ce qu’on lui devait. N’a pas qui veut des ancêtres ayant fait faillite au XIVe siècle ! Sans aucune morgue patricienne, M. Peruzzi savait en être fier à l’occasion. Mais les temps étaient changés, et le descendant d’hommes qui s’étaient illustrés dans les charges municipales et par leur patriotisme local devait être le ferme champion de l’idée nationale, et contribuer de tout son