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Puis les Toscans étaient gens si raisonnables ! « Il est facile, écrivait Gino Capponi[1], de se tromper sur la Toscane, pays grâce à Dieu fort peu révolutionnaire, peu bruyant aussi, et généralement modéré dans ses désirs, parce que les douleurs y sont aussi modérées ; ayant à perdre, ne se jetant pas dans les bras de l’inconnu. » Cavour lui-même ne croyait pas les Toscans capables de se passionner pour l’exclusion de la famille de Lorraine et pour la guerre[2]. Quoi d’étonnant si ce préjugé était presque général en France ? Peruzzi s’appliqua à le dissiper. Ne pouvant nier les bienfaits que la maison de Lorraine avait apportés à ses États, il énuméra du moins tous les attentats contre l’indépendance toscane dont l’Autriche s’était rendue coupable avec la complicité des grands ducs, et revendiqua le droit pour les Toscans de disposer librement de leur sort, sans dissimuler l’usage qu’ils en feraient. Sa brochure, vive, pressante, souvent éloquente et toujours adroite, est écrite dans une langue qui pourrait faire envie à plus d’un publiciste français.

En récompense de ses efforts, en quittant Paris au mois de novembre 1859, il emportait l’assurance qu’aucune intervention armée n’aurait lieu, et la conviction qu’il suffirait de gagner du temps pour triompher. On sait que l’événement lui donna raison, et comment, le 22 mars 1860, Victor-Emmanuel put accepter officiellement les résultats du plébiscite du 11 mars, par lequel la Toscane se donnait à lui.


II

Un excellent connaisseur des choses d’Italie, qui vit Peruzzi à Paris en 1859, a tracé de lui le portrait suivant : « Esprit fin, délicat, plein de souplesse et de ressources, très maître de lui, M. Peruzzi me paraît un type du Florentin, un véritable fils de Machiavel dans le bon sens du mot. Ou je me trompe fort, ou c’est là un homme de grand avenir, destiné à jouer un rôle important dans son pays[3]. » La prédiction se réalisa. Peruzzi fut à la hauteur des premiers rôles dans l’Italie unifiée comme dans la petite Toscane. Mais il devait en connaître les amertumes plus que les jouissances. L’unité italienne ne put se faire sans des mécomptes et des désastres partiels ; Peruzzi en fut une des victimes. Son honneur

  1. Lettre à M. Eugène Rendu, 1er mars 1859. (Correspondance, t. III, p. 242.)
  2. Chiala, Lettere edite ed inedite, etc., t. VI, p. 601 (lettre au prince Napoléon, du 8 juin 1859).
  3. M. Eugène Rendu, lettre à Gino Capponi, du 22 août 1859. (Correspondance de Gino Capponi, t. III, p. 291.)