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de Florence la capitale intellectuelle et le principal centre d’études de la péninsule ; il sentait qu’elle était prédestinée à ce rôle et qu’elle y trouverait une compensation à la perte de son rang de capitale politique. Il s’occupait en même temps d’œuvres purement charitables : éducation des aveugles, protection des détenus libérés, construction de logemens ouvriers. Simple, affable, accessible à tous, en vrai patricien toscan, personne ne s’est mieux acquitté des devoirs de patronage qui incombent aux classes dirigeantes. Dans sa campagne de l’Antella, il avait su se faire adorer de tous. Il ne faisait en cela que demeurer fidèle à de vieilles traditions. Ce domaine de l’Antella avait appartenu à ses ancêtres depuis le XIVe siècle, et depuis le XVIe, il était cultivé héréditairement par la même famille de métayers. Ainsi quand il écrivait, pour les Ouvriers européens de M. Le Play, la monographie du métayer toscan, il n’avait pas besoin de chercher bien loin pour trouver de beaux exemples de paix sociale et de rapports amicaux et stables entre propriétaires et paysans.

C’est à l’Antella qu’il avait fini par se retirer, et dans les dernières années de sa vie, le vieux palais des Peruzzi, à Florence, demeura désert. Mais il n’avait pas dû pour cela s’éloigner de l’objet de ses intérêts ni de ses affections. L’Antella est aux portes de Florence, et de la terrasse de sa villa, dont il aimait à faire les honneurs, par-dessus les oliviers, il pouvait apercevoir au loin, encadrés par le cirque neigeux de l’Apennin et du Pratomagno, la coupole du Dôme, le Campanile, la tour du Palais-Vieux, la Badia, tout le profil pittoresque de la vieille cité. Surtout il ne s’était pas éloigné de ses amis. Il en eut beaucoup, car jamais commerce n’a été plus charmant que le sien. Avec sa distinction native, sa fine ironie, sa bonne humeur malicieuse, son art de tout faire entendre d’un mot ou d’un sourire, les Italiens reconnaissaient en lui l’esprit florentin dans toute sa séduction. Il était merveilleusement secondé par la femme distinguée qui a été la compagne de sa vie et la confidente de ses pensées, et sut toujours prendre, aux graves questions qu’elle voyait agiter autour d’elle, l’intérêt le plus intelligent et le plus passionné. Dans les beaux jours de Florence capitale, les réceptions du palais Peruzzi avaient été célèbres. À l’Antella, un jour chaque semaine, — le dimanche, — fut toujours réservé aux amis ; les habitués, et c’était tout ce que Florence comptait d’éminent dans la politique ou dans les lettres, se réunissaient en ville, au palais Peruzzi, et gagnaient l’Antella en bande joyeuse, sûrs de l’accueil qui les y attendait. Il était rare aussi qu’il n’y eût pas quelque hôte de passage. Le salon Peruzzi était cosmopolite dans le bon sens du mot.