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Les Italiens sont naturellement hospitaliers et bienveillans ; leur pays est si bien fait pour être le rendez-vous général et comme le salon de l’Europe ! Peruzzi, de plus, avait eu ce que n’ont pas toujours ses compatriotes, la passion des voyages. Pendant longtemps, il n’avait pas laissé passer d’année sans faire une excursion à l’étranger ; aussi connaissait-il à merveille tout le personnel politique européen, et dans tous les pays il comptait de chaudes amitiés. Il n’y avait guère d’étranger distingué, de passage à Florence, qu’on ne fût assuré de rencontrer à l’Antella. Il n’était d’ailleurs pas nécessaire, et l’auteur de ces pages en a fait l’expérience, de se présenter avec un nom illustre, pour trouver à l’Antella l’accueil le plus bienveillant ; il suffisait d’y apporter un peu de sympathie et de curiosité pour les choses de l’Italie. Ceux qui ont appris à connaître l’Italie moderne dans le salon Peruzzi ne s’étonneront pas qu’on ait pu l’appeler « le plus actif loyer d’italianité[1] » qui existât dans la péninsule.

La tolérance y était parfaite. Grâce à sa grande connaissance de l’étranger et à son esprit élevé, M. Peruzzi savait se mettre au-dessus de toutes les questions irritantes. Il est malheureusement devenu impossible de parler d’un homme d’État italien sans se demander quelle a été son attitude en présence des regrettables froissemens qui depuis quelques années ont séparé la France de l’Italie. M. Peruzzi appartenait à la génération qui avait été habituée à tourner volontiers les yeux du côté de la France, et ne prenait pas encore le mot d’ordre ailleurs. Il n’oubliait pas que la France, par son concours momentané, avait fait naître l’occasion favorable et décisive. Il était de ceux qui dans l’unification avaient voulu aller jusqu’au bout et ne le regrettèrent jamais. Mais il n’en voulut pas à ceux de ses amis étrangers qui eurent scrupule à l’approuver et persistèrent à comprendre autrement les vrais intérêts de l’Italie. Quand la situation devint tout à fait tendue entre la France et l’Italie, trop clairvoyant pour ne pas comprendre la gravité du désaccord, trop bon Italien pour ne pas donner raison à son pays, il pensa qu’une discussion calme, loyale et courtoise était la meilleure manière de le servir. Il en donna un parlait modèle en 1881, à propos des affaires de Tunisie, dans deux lettres publiées par la Revue politique et littéraire. Sans s’exagérer la portée des manifestations et des toasts, il se prêta toujours avec empressement à tout ce qui pouvait rapprocher les esprits en deçà et au-delà des Alpes. C’est ainsi qu’en 187â, au nom de la ville de Florence, il s’était associé de la manière la plus efficace à la

  1. Nuova Antologia, septembre 1891 ; article de M. Tabarrini.