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levant leurs gousses rouges, qu’on prendrait pour des coquelicots. M. Guglielmo renifle bruyamment.

— Bergamote ! dit-il.

En effet, à cent mètres devant nous, des paysans, vêtus à la calabraise, les hommes en culotte courte, les femmes avec des jupes rouges et la grande coiffe tombante, escortent une charrette de ces fruits précieux qu’ils conduisent à un moulin voisin. La charrette laisse après elle un parfum tellement violent que celui des orangers et des citronniers ne peut lutter avec lui. Nous sommes dans une buée à la bergamote. Mon hôte semble réjoui. Je regarde les mannequins. Ils sont pleins de fruits verts, de la grosseur d’une valence ordinaire, mais à écorce lisse, et gratifiés, sur le haut, d’un petit appendice, comme si la queue passait au travers et sortait en ligne droite.

La pluie cesse, les montagnes dont nous commençons à gravir les premières pentes reprennent leurs tons bleus. Un kilomètre encore et, dans la belle campagne de Reggio, ruisselante et chaude, en face d’un des plus larges paysages qui soient, nous nous arrêtons à la porte de la villa. Que c’est loin, même d’une bastide marseillaise ! Une haie de géraniums rouges, plantureux, formant de gros buissons, entoure la maison, qui est teintée en rose et couverte, jusqu’à mi-hauteur, de jasmins grimpans. Entre les murs et la haie de géraniums, comme une serre, comme un portique, un berceau de vigne fait de l’ombre au midi, se coude pour suivre la façade orientale, et conduit le visiteur jusqu’à l’entrée. L’intérieur ne répond en rien à cette coquetterie du dehors. J’ai souvent été stupéfait du peu de souci que semblent avoir du confortable les Italiens de la classe moyenne. Le propriétaire de la villa est un homme riche, et les appartemens sont à peine meublés, et les lits, — ô Normandie, terre des édredons ! — se composent d’un tout petit matelas et d’une paillasse minuscule entre des montans de fer, et les cadres qui pendent le long des plâtres craquelés ne retiennent que des chromolithographies, dignes d’une salle d’auberge. Allons voir le verger !

Ce coin-là est charmant. On sort du berceau de vigne, on entre sous un bois d’orangers, de mandariniers et de bergamotes, très hauts, très ronds, se rejoignant au-dessus de nous et gardant sous leur voûte une ombre à peine mouchetée, çà et là, d’un rayon. Un peu plus loin il y a un grand carré uniquement planté en bergamotes et, le long d’une allée, des arbustes à feuilles ovales, dont le fruit ressemble à une pomme de pin verte et molle.

— Je pensais bien que vous ne connaissiez pas celui-là ! me dit M. Guglielmo.